dimanche 24 mai 2009

Héros allumés 3

Lit Heroes, version française 3

15 ROMÉO

Plus il y a de l’amour, moins il y a de la science.
Les amants sont comme des théologiens : ils aiment ou la foi ou le rite.

En apprenant à le saisir mieux
Elle aurait même fini par pouvoir lui procurer quelque plaisir
Mais pour cela, le temps leur manquait.

S’ils avaient eu le temps pour cela
Leurs membres aiguisés auraient pu se tomber dessus ;
Seulement leur affection en aurait pris un petit coup.
Mais de cela, il y en avait trop en revanche pour leur donner le temps
Et ce peu de connaissance requis.

L’abstention en amour ne fut jamais une question de morale, mais de stade.
Ils se trouvaient propulsés dans le stade où avoir affaire à l’univers entier
Signifie méconnaître l’universel.
Elle, fredonnante, ignorait quasiment quoi faire avec son début de trique
Et lui, dans tous ses états, ne savait pas comment lui dire ;
Du coup, pendant un instant, ne restait que leur passion brute...

Même dans les jours d’immense tension, le pâtre, près de son troupeau, sait comment faire
Et il n’y a pas moins d’amour pour autant.
Mais ces adolescents-là n’étaient point observateurs. Ô combien attirés envers l’autre
Ils ne connaissaient pas l’amour.

Roméo en anglais


16 OLIVER

Sonné, un martinet se blottit, tout ramassé le joli petit oiseau.
N’a pas vu la vitre.
Je suis sûr que les deux freux pas loin
Qui pour l’instant l’ignorent
Mais se sont rapprochés

Malins et robustes comme ils sont
Pourraient finir par attaquer
Décidant de ne voir dans leur proche congénère
Qu’une boule de viande délicieusement frémissante
Exactement comme nous-mêmes pourrions le faire.

Une fois considéré comme tel, on est vite perdu
Et ce n’est pas une grande affaire pour celui qui s’est un peu raffiné
De retourner à l’état brut. Fais attention aux passages, sinon...
C’est un boulot ardu, aussi ardu que
Pour un petit martinet de récupérer vite fait.

Oliver en anglais


17 CHINGACHGOOK

La peau, voilà de la beauté pure. De l’armure, de la beauté pure.
Mais l’armure est-elle plus fiable que la peau toute nue ?
Phryné sauvée grâce à son nu rougissant, Perceval abrité par l’armure rouge
Le déconcertant Chingachgook prospérait, lui, sous l’acier de son teint cuivré.

Quand tu pèles un fruit, tu peux en découvrir la douceur
Mais ne tente pas d’entamer la bête vivante, elle s’éveillera et sera féroce !
Existe-t-il vraiment rien-que-la-peau, ou de l’armure étincelante sans peau en-dessous ?

Peau ou armure, ils sont tous les deux comme le cliché d’une chose
Un désir sans âge qui la préserve le mieux.
La surface cirée, bien que certainement pas à niveau avec nous-mêmes
Nous brillons comme d’un noble lustre de statuaire
Et tout glisse, puisque rien ne pénètre.

Où donc est-ce que je la trouve maintenant, mon Aphrodite de Cnide ?
Et où donc le moindre champion d’Arthur ? Et où le dernier des Mohicans ?
Si jamais elle a existé, la beauté seule a dû louper sa cible.

Chingachgook en anglais


18 TADZIO

Pourquoi est-elle si tentante, cette sacrée jeunesse ? Si évocatrice ?
Est-ce que ce garçon simple et sain a la moindre idée
Qu’un vieux chnoque suit chacun de ses tours enfantins ?
Eh bien, s’il savait, par la barbe de Jupiter
Quel embarras et quel tracas !

Le monsieur se jettera à mes genoux.
Aurais-je à remplacer une dame entre deux âges ?
Comment pourrais-je faire une telle chose ?
Ne sait-il donc pas que
Je suis fait pour la masturbation ?

Fait pour la masturbation
Le vieux bonhomme s’essuie les verres
Abîmé en pensées sur Alcibiade, cet écolier qui
Tout empêtré dans la matière et aussi fluctuant qu’il faut
Avec un peu de chance y a réussi un 8 sur 20.

Tadzio en anglais


19 GENJI

Ceci est un rêve
D’égaler le brillant Hikaru
Fidèle en diversité.

Homme du commun, je ne puis aligner des vies et rester sereinement moi-même.
Ma lumière éclaire peu, et satisfaire une seule est déjà victoire.
Pour honorer un amour défunt droit au milieu du crime organisé
La mémoire ne peut vaincre les besoins et du jour et de l’hygiène.

Le manuel danois dit : Sois tout d’une pièce !
Me faisant dissolu, comment être d’une pièce dissolue ?
Quand j’ai envie de bouger, je me mets à en parler et me voilà point parti.
Si je n’étais pas sujet à la gravité, je me casserais comme un voyou ;
Mais on ne saurait être et d’un gris élégant et de couleur voyante...

Je n’essaie pas assez fortement d’admirer les cerisiers en fleur
Cette parabole de la candeur omniprésente soufflée en une seule pluie ;
Je dois vivre mes vies successives dans leur morne permanence et dissolution.

Genji en anglais


20 RODIN

Engagé sur ta voie sans issue, il faut dédramatiser
Comme Pierrot, le clown blanc, à face lunaire. Ou extérioriser
Tel Auguste le Rouge, qui lui, scélérat damné par la beauté
Se rabat sur les corps et à la batte fait passer l’innocence à l’enfant –
Puisque ce serait à quoi ils rêvent sur leur peau immaculée.

Les poignets bien attachés à l’anneau d’un pilier placé haut
Les yeux bandés et le reste, incidemment, dévêtu à s’en pâmer
C’est en se tordant que candeur irréprochable se sublime en péché
Et en tournoyant, dépouillée sous un bien morne fouet.

Finies les idées malsaines lorsqu’on rencontre la chair déjetée
Tant soit peu élevée par une poigne assez cruelle pour la guérir.
Grattée là où tu démanges, ta peine et tes prières vont à la divinité
Qui répond dignement, pour un être suprême, en éclatant de rire
Au lieu de geindre, une fois détachée, face et corps contre terre.

Lorsque tu auras acquis une connaissance plus profonde, ma belette
Il n’y aura plus de traces, si c’est cela que tu crains ;
Mais au moins un petit peu de drôlerie restera dans le monde réel.

Coincé sur ta voie sans issue, la meilleur façon de t’en sortir
Est de t’adonner corps et âme à ces arguties scolaires
Qui font croire qu’il n’y a point de bourreau au grand ailleurs.

Rodin en anglais


21 AKAKY

Lorsqu’un domestique – ou nez – après des temps immémoriaux
S’est résolu à ficher le camp
C’est très probablement à cause d’un maître apathique.
Lorsque ton loyal manteau est chapardé ou s’est perdu en route
C’est la faute à ton irresponsabilité, propriétaire.
Faut le garder à l’œil, notamment lorsque tu le sors en promenade

On ne peut pas voir son propre pif, et le chenapan en profite ;
Mais il est facile de surveiller un manteau, au moins le devant.
Si tu y tiens en permanence la main accrochée au collet
Personne ne pourra te le piquer sans tirer comme un fou.

Si je fais un avec mon nez, moi et ma fourrure font deux.
Une jolie fourrure, en peau de chat, peut me transformer en quelqu’un ;
Dans certains endroits, je dois manquer de pilosité naturelle.

Tout ce dont je peux être dépouillé, ce n’est pas moi, et il y en a plein.
Tout ce dont on ne saurait me dépouiller, serait-ce donc moi ?
On peut me priver de mes complexes, et on peut me priver de mes désirs
On peut même me déposséder de toute ma pauvre existence sur terre
Mais, tant que je suis là, on ne peut pas divertir mon attention d’un pouce.

Et c’est moins un manteau qu’il me faut pour cela
Que la perte de ce manteau, ou son expérience littérale.

Akaky en anglais

Le Quichotte de Cervantès
Le Gulliver de Swift
Le Narrateur de Proust
Le Vendredi de Defoë
Le Quasimodo de Hugo
L’Ulysse d’Homère
Le Siddharta de Hesse
Les deux Sganarelle de Molière
Le Simplicius de Grimmelshausen
Le Philéas de Verne
L’Achab de Melville
Le Willy de Miller
Le Je de Rimbaud
Le Melmoth de Maturin
Le Roméo de Shakespeare
L’Oliver de Dickens
Le Chingachgook de Cooper
La Tadzio de Mann
Le Genji de Dame Murasaki
Le Rodin de Sade
L’Akaky de Gogol

Trad. 24 Mai 2009

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