mercredi 24 juin 2009

Bienfaiteurs et criminels


1. Koch et Jack


Koch

Il a découvert le bacille, celui-là. Avant, on mourait juste comme ça ; depuis, nous savons pourquoi. Mais nous nous en lavons les mains, et c’est même obligé, depuis.

Pour peu qu’il soit produit humainement, le savon est en lui-même un bienfaiteur.

Il faut produire notre savon humainement – c’est là la condition pour qu’il nettoie bien. Or, c’est connu, on ne le fait pas toujours, et ce n’est même pas la faute au bacille.

Jack

Il a opéré des dames, mais en ambulatoire. C’était plus ou moins à l’époque quand l’autre a découvert le bacille. Lui, en revanche, a eu le don du bistouri.

S’est-il au moins lavé les mains, Jack, avant de procéder, appliquant en cela de saines consignes ?

Nous n’en savons rien ; de ses patientes, pas une seule a survécu au traitement. À avoir eu le bide ouvert, elles n’auraient pas risqué pire à l’hôpital.


2. Karl et Pol

Karl

Karl avec sa grosse barbe a découvert plein de trucs ; des truc a priori inintéressants pour des personnes désintéressées, touchant à la valeur marchande et des trucs de ce genre.

Cela ne lui rapportait pas grand-chose, et pourtant : quel fric il aurait pu se faire avec tout ce qu’il avait trouvé en matière de spéculation !

Peu doué comme gestionnaire, il ne tablait que sur l’avenir. C’est plus facile si l’on ne se sent pas pour les affaires.

Pol

Pol, lui, a essentiellement découvert des traîtres à la cause. C’est vital de dénicher ses traîtres, car la cause, autrement elle est fichue.

Mais à force de rendre inopérants les traîtres à elle, la cause elle-même en a pris un méchant coup – pour le moins chez tous ces traîtres dans les charniers du coin.

C’est comme si la cause avait besoin de ses traîtres en état de trahir, pour rester, elle aussi, en bonne santé.

C’est vrai, en fait. Moi, par exemple, la cause, je l’aime bien, justement parce qu’il y a autant de traîtres.


3. Pury et Peary

Pury

Il était Suisse, banquier et marchand d’esclaves. Après sa mort, il s’est surtout fait un nom en tant que bienfaiteur.

On le rencontre encore, érigé en statue, mais de ses bienfaits ne subsiste pas grand-chose. La banque a disparu et le commerce des esclaves ne rapporte plus guère – c’est peut-être cela, le résultat le plus tangible de l’ancienne bienfaisance.

Si l’on est bienfaiteur, il faut faire gaffe à ne pas ruiner son négoce, même après coup. Il faut rester modeste dans la bienfaisance. Qui en fait trop, risque de tirer tout le monde vers le bas.

Peary

C’était par contre un sans-le-sou, et chapardeur avec ça. Ce n’est que justice qu’il soit resté inconnu. Les Peary dont on se souvient sont d’une autre trempe. Ce sont d’audacieux explorateurs.

Or, le vrai vainqueur du pôle Nord n’aurait peut-être même pas été étonné s’il avait appris l'existence d'un Peary sans-le-sou et chapardeur, et qui n’a rien exploré sauf des tiroirs qui ne le regardaient pas – d’ailleurs le plus souvent vides – et qui avait facilement froid.

Car, en règle générale, les fauchés n’ont la curiosité que futile, et sont par surcroît plus douillets que les fortunés.


Peary a facilement froid.


4. Getty et Hory

Getty

L’homme a fait énormément pour l’art. Sans son mécénat, plein de musées seraient vides. Les gens ne sauraient pas quoi y regarder – ils ne trouveraient rien d’autre aux murs que des murs.

Les artistes qui ne trouveraient plus d’acheteur pour leurs jolis tableaux, mourraient de faim. C’est-à-dire, avant, je pense, beaucoup auraient changé de profession. Certains se seraient lancés dans le pétrole, si ça se trouve. La peinture à l’huile et le pétrole, c’est voisin.

Dans ce cas, avec un peu de chance, ils auraient pu devenir très riches eux aussi, puis le remplacer en tant que philanthrope. Il n’était donc pas aussi utile que ça, Getty.

Hory

Lui, c’était un illustre faussaire. Il peignait les tableaux des autres. Est-ce que les autres l’ont remercié ? Tu parles !

Les autres auraient pu se reposer un peu, et le laisser faire calmement à leur place. D’ailleurs, ça aurait peut-être arrangé plus d’un.

Le problème : il les aidait dans leur travail lorsqu’ils étaient déjà si bons qu’ils n’avaient plus besoin d’aide. Il venait un peu tard, ça ne valait plus la peine, et voilà ce que, dans la profession, on lui a reproché le plus.


5. Pierre et Petiot

Pierre

Pierre était un homme de foi. C’est éculé comme info, mais ça reste vrai : Autrefois, on claquait dans la rue, et de nos jours, on ne claque plus beaucoup, forcément, puisque tout le monde peut s’approvisionner à bon compte. Pour ceux qui préfèrent toujours la rue, on propose les fringues parce que les promenades, pour les autres, les meubles de salon.

Il était photogénique, on le sait, d’illustres penseurs l’ont décrit. Les objets que, grâce à lui, on achète désormais pour trois fois rien, ce ne sont pas des antiquités, mais le plus souvent ils datent. Les gens, qui ne voient pas de différence, adorent.

Lui, c’est pareil. On l’adorait parce qu’il faisait vieillot sans être une véritable antiquité qui reviendrait autrement plus cher.

Petiot

Petiot aussi était un homme de fois.

Plusieurs fois il a commis l’acte pour lequel il s’est fait connaître, et pas seulement par la police. Commettre une seule fois quoi que ce soit, ça ne t’ouvre que rarement les unes des journaux, de la gloire éternelle n’en parlons même pas.

Il faut avoir de la suite dans les idées, sans insistance, mon petiot, les idées les plus extravagantes ne donnent rien, ou pas grand-chose. Puis, il faut tirer profit de l’air du temps. En cela, Pierre et Petiot se ressemblent. Mais pour la jeunesse, la ténacité d’un Petiot est un exemple encore plus frappant.


6. Bernadette et Violette

Bernadette

Des Bernadettes, il y en a à la pelle, les unes meilleures que les autres ; moi, je veux parler de la persistance du concept.

La Bernadette en question ne s’attaquait pas aux écrouelles, mais presque. Elle était de la race des bienfaitrices de palais.

Il est préférable, diras-tu, d’être régenté par des patrons ayant des dames patronnesses ; qui sait, peut-être quelques miettes tomberont aussi sur nous.

Eh bien, certes pas dans le cas de cette Bernadette récente. Déjà qu’on manque de gros billets dans le portefeuille, celle-là alors, avec ses bons yeux, nous soutirerait volontiers le peu de ferraille qu’il y reste...

Violette

Violette est le nom d’une fleur, mais cette Violette-là se distinguait par le ressentiment qu’elle avait développé, notamment envers ses proches.

Il n’est pas beau à voir, un tel ressentiment, développé par une fleur, puis envers les gens de son entourage ; mais, franchement, qui voudriez-vous qu’on déteste au fond sinon les gens qui nous entourent ? Si l’on hait quelque chose, c’est peut-être le terreau sur lequel on pousse.

A la fin de son malheureux périple, elle a été graciée. On est content pour elle, on a tous des proches, et un terrain qui laisse à désirer, ça on connaît.



7. Bill et Gilles

Bill

Bill a inventé l’indispensable, ou presque, et ça l’a rendu immensément riche. Si l’indispensable nous lâche, c’est sa faute, mais il se rattrape.

Chaque fois que quelque part dans le monde une donnée s’envole, Bill doit le ressentir et se demander, perplexe, s’il est vraiment à l’origine de tout ce bazar. Puis il trouve la solution miracle, lui.

D’énormes masses de gens dans plein de pays dépendent de son bon vouloir. Or, ce n’est pas le Messie et la technique a ses failles. Mieux que Jésus, Bill nous force à apprendre à pécher.

Gilles

Gilles était sexe. De nombreux jeunes gens en ont fait les frais.

Personnellement, je suis trop vieux, je m’en branle. L’avantage de tels monstres : tout le monde ne les branche pas.

Le bienfaiteur se penche sur la pauvreté et le voleur sur la richesse. Gilles, ce n’était que l’innocence vers laquelle il penchait.

C’est rassurant en fin de compte. L’innocence, c’est banal, on est au courant de ses inconvénients, on en a même vu la couleur. Ce n’est pas comme dans les affaires de thune où les expériences divergent.


10 - 13 Juin 2009

mardi 23 juin 2009

Un homme de goût

Un homme d’âge mûr
Sans étroitesse particulière
Et sans avoir changé ni de culte
Ni de partenaire et de ris et de jeux
Rien que parce que, prétend-il
Ce serait plus beau à voir
S’est fait circoncire.

Mettant l’impératif esthétique
(Ou plutôt son optique personnelle)
Bien au-dessus de la nécessité faisant loi
Cet individu, peut-être manquant de largeur d’esprit
Par son geste audacieux résume à lui seul
Tout ce qui fait la modernité.

Elle n’est pas très large d’esprit, la modernité
Elle n’est jamais contente avec ce qu’elle a
Elle ne change pas grand-chose, et
Elle tranche parfois dans le vif
Sans la moindre nécessité :

Mais elle ne se laisse rien prescrire, et surtout
Pas ses caprices ; bien au contraire, elle
S’y plie en toute liberté, mais non
Sans mal et, je le crains, n’en
Tirant nul avantage.

10 Juin 2009

mardi 9 juin 2009

Un vieil écrivain / An Old Writer

[Un vieil écrivain, au bout d’une vie d’écriture, regrette de ne pas avoir fait assez de cas de son épouse dans son œuvre passée, et ceci malgré le fait d’y avoir abondamment discouru sur sa vie conjugale. Octogénaire, les amis morts, fatalement retiré du monde et réduit à peu près au seul commerce avec sa chère et tendre, maintenant il regrette.

Devenu un vieillard, il ne se reconnaît donc plus dans le jeune homme qui avait d’autres chats à fouetter que faire l’éloge de bobonne, regrettant en fait que son intimité soit trop longuement restée intime, ou plutôt qu’au lieu d’être étalée sur la place publique, elle avait été rendu publique sous un bien faux jour.

Juste avant d’être séparés pour de bon, il nous fait part de son intime conviction que sa femme et lui se sont depuis longtemps confondus sous la modalité du couple.

Mais rien, aucun oubli, aucun faux jour lors de son étalage, n’a jamais entamé la réalité d’une vie. Sur le tard, en rendant publics ses sentiments, ce vieil écrivain fait certes une espèce de fleur à sa femme, mais que de regrets inutiles, que de mots superflus de sa part.]


The strings of life, a blind spot, next to naught
Untold the privy makings for the ride
Because one may neglect one’s underside
And the utmost stirs of being stay untaught.

The ins and outs intimacy has gotten:
Do venerate, nay, bugger, copulate
And to your pals this news do propagate–
Life’s base prerequisites appear forgotten.

Each thing if sensed is in a way conveyed;
One couldn’t even feel one’s life without
A secrecy to keep the free world out
And still I wouldn’t call that badly made.

Content yourself to have experienced
Some inner thing that–though conveyed–was sensed.


[Und wie Heine übrigens schon schrieb:
“Hast Du vertrauten Umgang mit Damen,
Schweig, Freundchen, still und nenne nie Namen:
Um ihretwillen, wenn sie fein sind,
Um deinetwillen, wenn sie gemein sind.”]


7 Juin 2009

lundi 8 juin 2009

En un seul mouvement

Voici les masses d’un arbre touffu
Qui, mues par le vent, bougent comme un cul. Le cul
Mu par le mouvement, aurait-il quelque chose de végétal
Notamment, si quelqu’un l’empêchait de bouger
Autrement qu’ému par l’un de ces vents ?

La bestiole en mouvement, la belle créature
Autonome, se balançant de son beau cul animal
Se transformerait-elle illico presto en une sorte d’arbre
Pour peu qu’elle soit immobilisée par la force de racines ?
Faut-il donc pouvoir se trémousser à sa seule guise et fantaisie ?

Faut-il donc être libre comme le vent qui balance des arbres
Pour s’élever de la condition de celui qui, en se dandinant
Ne sert qu’à évoquer bien meilleure chose, n’étant point
Muni d’un véritable cul en l’occurrence, simplement
De masses touffues, un petit peu ressemblantes ?

Voilà des questions bêtes. L’arbre – ce pin
Tout rond – lui, rien qu’en lui-même
Balançant, une fois mis en branle
Ses beaux volumes comme un
Cul, se plaint-il d’être agité, quoi ?

Et de quoi nous plaindrions-nous, êtres velléitaires
Transportés par la seule force d’un vent, hors de nous
Gratifiés de pareil spectacle sans aucun autre cul
Dans les parages que le nôtre, automobile ?
D’être également soumis aux vents ?

31 Mai 2009