mardi 26 mai 2009

Héros allumés 1

Lit Heroes, version française 1

1 QUICHOTTE

Ne les aurais-tu point attaqués
Ils seraient gentiment demeurés
Ce qu’ils étaient depuis toujours :
Des géants ayant du grain à moudre sans réfléchir ;
Ainsi parfaitement hors de ton chemin.

Tant que tu ne les obliges pas à faire
Usage de leur pitoyable cervelle
Il ne leur viendrait pas à l’idée de jouer
Les tas de moulins à vent délabrés –
Et toi, tu ne risques certes rien, preux chevalier.

Profite du jour au lieu de provoquer
Du regard des moulins gonflant leur ailes.
En des époques désarticulées, des temps de vent
Sème ta mauvaise graine
Sans t’attendre à une trop belle récolte.

Quichotte en anglais


2 GULLIVER

La taille est un problème de toute une vie.
La question la plus déconcertante n’est pas de savoir
Si je suis trop grand ou trop petit ou exactement à ma taille
– Puisque je rentre fatalement dans celle que je suis censé avoir –
Ce qui m’embrouille pour de bon ce sont ces volumes bâtards rencontrés partout.

Personnellement, je n’ai pas l’habitude de changer de taille.
Si je peux faire jouer l’éclairage, pas moyen d’en dicter le résultat –
Ma taille est la bonne et je cadre avec mon état
Bien que des fois je me ferais volontiers un peu plus petit
Et d’autres, je sente que même à taille réelle je fais plus grand que nature.

De minuscules bestioles trottinent autour de moi
Et un gros imbécile m’assène des coups sur le crâne
Ça trottine et ça tapote
J’ai des fourmis dans la culotte
Tandis qu’un colosse veut se débarrasser de moi en se grattant.

Gulliver en anglais


3 NARRATEUR

Lorsque je me lève trop tard, je dors mal la nuit d’après.
Mon petit-déjeuner se compose alors d’une sorte de petit coquillage dodu
Dont le goût citronné suscite un enchaînement d’explications complexes.

Le matin est un bon point de départ pour de telles explications.
Alors que la lumière du jour, cette âme plutôt simple, ce
Jeune nigaud sculptural, nous balance largement les nouvelles dans la boîte.

De ma table, j’observe son arrivée sans mot dire.
L’obscurité partie, suis-je pour autant moins perplexe ?
Devenu moi-même, je me mets à méditer...

La journée commence avec de bizarres idées de journée.
Je devrais me jeter plein d’entrain dans la mêlée –
Mais je pourrais tout aussi bien retourner à mon trou, n’est-ce pas ?

C’est étrange, ce n’est pas ça que je m’apprête à faire.
Je m’apprête à être mélancolique
Et critique.

Narrateur en anglais


4 VENDREDI

Eh bien non, ce n’est pas mon nom, ça n’aurait pas de sens.
Ce n’est qu’une formule qu’il utilisait lorsqu’il était à ma recherche.
J’aimais mieux entendre ça qu’entendre les vrais sons charcutés.

J’ai quand même tenté de le lui dire ; après tout, c’était un ami.
En fait, il était le premier auquel j’ai fait cadeau de ces syllabes.
D’habitude nous ne le faisons pas. C’est inutile, nos parents savent
Et l’étranger ne doit pas avoir ce savoir qui procure trop de pouvoir.

Mais, bon camarade, je les lui ai dites et lui ai même confié
Que j’étais sur le point de deviner les siennes en langage puissant.
Il n’a même pas voulu m’entendre.

Devant lui, je l’appelais par son vrai nom et il n’a pas fait attention.
J’ai gagné les pleins pouvoirs sur lui mais n’en abusais point.
Parce que toute cette influence qu’il aurait pu avoir sur moi
Il l’a gaspillée, soit par gentillesse
Soit par pure ignorance.

Vendredi en anglais


5 QUASIMODO

Pour qui me prends-tu ? Même pas
Une fraction de seconde je me suis fait des illusions.
Une fille aussi chouette – crois-tu que
Je ne savais pas qu’elle n’était pas pour moi
Avec ce machin difforme dans le dos ?

Aussi loin que je peux me souvenir
Cette maudite bosse me dit que ces nanas-là sont sacrément lourdes
Bien que fichtrement tentantes
Et celle-là, elle me tentait d’une manière...
Qu’elle soit stupide, je m’y attendais donc parfaitement.

Sonner les cloches deux fois pas jour n’est pas très prenant ;
On dispose de plein de temps libre entre les carillons
Et peu à peu, on se met à avoir de drôles d’idées.
Je n’ai même pas dit à cette conne que j’étais fou de ses nichons
Il m’a suffi d’échouer à la sauver… et la voilà dans mon escarcelle !

Quasimodo en anglais


6 ULYSSE

En ce qui me concerne, je suis né cent pour cent casanier.
Comme vous, j’ai grandi devant le poste et j’ai toujours pensé
Que ce qui se passe sur l’écran est suffisant comme dépaysement.

J’ignore qui a raconté en premier que j’avais la bougeotte.
C’est sûr, j’ai un peu voyagé, mais par pure obligation : chaque
Jour que Dieu fit, je priai de pouvoir rejoindre ma bourgeoise chérie...

Pas un seul des exploits qu’on m’attribue rime à quelque chose.
Je ne vis au présent que depuis que je suis de retour.
Tout ce temps perdu me rend malade.

J’avoue que ma barbe est grise ;
Or, je n’ai pas la moindre idée à quoi bon.
Je me souviens de rien. Ne m’assaillez pas de questions.

Oui, il a dû y avoir des instants supportables
Au milieu des tracas, mais voyez-vous, je ne me
Rappelle même plus les noms de ces belles des îles.

Ulysse en anglais


7 SIDDHARTA

Un garçon à la voix probablement douce
Portant des bésicles cerclées de fer
Et, lorsqu’il se sentit vieillir, un nœud papillon flamboyant
A écrit un livre puisque je le préoccupais
Alors que moi, j’ai passé la plus grande partie de ma vie adulte
A expérimenter cette seule et unique chose :

Qu’il est inutile de se soucier de quelqu’un
Parce que la seule façon
D’approcher la rédemption collective est
De se concentrer strictement sur sa propre singulière personne
Quitte à être empoisonné par du sanglier faisandé
Jusqu’en fin de compte s’évanouir dans la nature

Pour le bonheur de tout le monde.

(Supposant qu’il ait voulu faire comme moi
C’est qu’il a dû me prendre pour ce sanglier.)

Siddharta en anglais

Trad. 24 Mai 2009

lundi 25 mai 2009

Héros allumés 2

Lit Heroes, version française 2

8 SGANARELLE

Selon le toubib, il n’y avait rien de quoi m’inquiéter :
À en croire mes grimoires, tout ça n’est que normal, me dit-il ;
Les tout-puissants patrons ont simplement le syndrome d’Asperger.
C’est d’ailleurs peut-être à cause de cela qu’ils fonctionnent.
Je lui fis toutefois remarquer qu’un valet se fait souvent asperger à tort.

On peut obéir aux injonctions sans une once de compréhension, fit-il ;
L’obéissance est pure affaire de corps, pas besoin de cerveau servile.
Mais si tu fais comme je te dis, voilà le truc, tu t’amuseras d’abord toi-même.
En tout cas, répondis-je, j’exécute surtout des ordres dont le sens m’échappe.
Je ne dirais pas que ses désirs ne valent rien, mais d’évidence, ça me dépasse.

Les choses seraient plus simples s’il me laissait faire de A à Z à ma façon ;
Mais pas moyen, c’est lui le chef. Moi, je suis un homme libre, comme il aime dire
Puisque lui, au moins trois fois par jour, succombe sous le poids de ses responsabilités.
Tu sais, dit mon pote le toubib, impossible qu’un tel malade puisse se voir d’un œil extérieur.
Je répliquai : Alors qu’il regarde plutôt par son œil du cul !

Sganarelle en anglais


9 SIMPLICIUS

Le hic avec la guerre est qu’ils
Te rattrapent dans ta cachette la plus sûre, ces touristes-là
Ils viennent te récupérer où que tu traînes.
Tout ce silence, tout ce bonheur paisible sur lequel ils finissent par tomber
Toutes ces sentes mousseuses jamais arpentées qu’ils finissent par remonter au pas cadencé...

Si tu as toujours souhaité te barrer là où les graines éclatent, t’es servi.
Ceci est en tous les cas, mon tendre poulet, la réponse la plus adéquate
Aux très-fougueuses espérances d’un angelot en âge de prendre son envol :
Tu le recevras sur-le-champ
Cet objet de ton désir mûrissant qui a tant ébouriffé tes sens.

La gloire d’être dans l’œil de l’ouragan, je l’admets, a de tout temps frôlé ton visage
Un lugubre appétit de récolter la tempête, ça oui.
Mais tu ne récolteras dès lors qu’une enfance perpétuelle, point à la ligne.
Un cadeau sans retour, aux couleurs toujours éclatantes déteignant partout, le plus
Chouette dans la guerre étant que tu peux rester au chaud, devant le feu de ton foyer
Qui brûle.

Simplicius en anglais


10 PHILÉAS

Si je suis aussi fatigué du monde, c’est parce que je suis conscient
Que l’espace de notre vie est tellement restreint.
Avec un peu d’éducation nous connaissons tout ;
Nous pourrions devenir pinailleurs et découvrir les charmes de la pédanterie
Mais nous n’avons pas grand-chose à découvrir.

A cet instant de ma vie
La seule question restée ouverte était : Combien de temps
Pour en faire le tour complet.

J’ai fait le tour de beaucoup de points
Je me suis promené en subventionnant plein d’endroits haut de gamme –
L’ennui véritable a son prix –
Et il était trop tard pour que je m’émerveille encore.

Pour découvrir cette dernière chose
Je n’avais qu’à faire l’impasse sur toutes les choses
Avançant sans voir la moindre des choses
Sans sentir la moindre puanteur
Sans rencontrer âme qui vive (je sais y faire !)
Donnant l’aumône à quantité de mendiants aux plaies les plus extravagantes
Sans venir en secours à personne d’autre que moi, Philéas.

Comme si rien d’autre n’avait été en jeu.

Philéas en anglais


11 ACHAB

La vie est trop courte pour s’arrêter aux broutilles et gaspiller son coup.
C’est suffisamment difficile de faire du boulot comme il faut.
En réussir ne serait-ce qu’un, est assez de gloire pour une vie.

Ne te perds pas dans les détails, seule compte l’intention.
Peu importe le but auquel tu te voues, qu’il soit grand ou petit
Grossier ou méticuleux par nature.

Dans mon cas, il doit être effectivement gigantesque.
Grossier ou méticuleux par nature, je n’en sais rien.

J’ignore presque tout sur ce singulier et unique gros machin.
Malgré sa taille, il est terriblement leste, on ne croirait jamais
Comme il peut être vif et volage, capricieux tel une prima donna
Transformiste balèze, des méga étincelles pirouettant devant les yeux.

Dès qu’il le faut
Le monstre plonge sous une ligne que je ne peux pas pénétrer.
Ses réactions sont parfaitement imprévisibles.
Moi, je ne piquerais même pas sous la ligne de mon front.
Mes propres réactions sont parfaitement imprévisibles.

Bien trop prévisibles pour moi, dit Ismaël.
– Il n’accomplira pas une seule chose valable, ce garçon-là.

Achab en anglais


12 WILLY

En ce moment, j’en vends pas mal de ces lampes.
Seulement, je ne leur dis pas de frotter. Il doivent trouvent d’eux mêmes.
Je pense même que d’un point de vue légal, j’en ai pas le droit.

Si l’on est pas complètement aveugle, rien que l’aspect devrait suffire à intriguer.
Si j’étais mes clients, j’essaierais certainement.
Mais ce n’est pas mon affaire, ça. Je ne suis pas prof en curiosité.

D’un autre côté, ce sont des clients, pas des indics.
Ils ne vont pas m’appeler en hurlant dans le combiné –
De même que moi, je ne les choisis pas, ces gens !

Nul colporteur ici-bas a le loisir de choisir à qui il fourgue sa camelote.
Une fois sorti de la fourgonnette, comprenez-moi...
Mais durant toutes ces années, pas une seule m’est revenue. Ils doivent être
Aussi contents de l’avoir que moi je le suis d’en être débarrassé.

Parfois, bien sûr, c’est préférable que le gars
Ne s’en rende jamais compte, comme cette petite chose peut s’avérer utile.
Qu’il la prenne pour rien d’autre qu’une jolie pièce d’artisanat.

En ce qui me concerne, j’en ai rien à cirer des jolies pièces d’artisanat.
Je suis d’avis que toute chose devrait être transcendante quelque part.
Notamment dans nos temps actuels
Je suis en ce sens philosophe.

Willy en anglais


13 JE

Le truc décisif, c’est « Je n’est pas moi. »
Un fois que tu as pigé ça, partenaire, me dit-il
Le reste est couru d’avance.

Je connais Arthur depuis un bon moment
Et je pensais, c’est-à-dire, du moins lorsque nous étions jeunes
Que lui, plus que tout autre savait qui il était.
Ce n’est que récemment qu’il a souhaité m’ouvrir les yeux.

De belles conneries ! je lui dis, mais le gars insista :
Je, fit-il, est à peu près à coup sûr un autre.
Moi aussi, je l’ai toujours pensé, lui répliquai-je
Et pourtant, on est des zèbres absolument différents.

Il me regarda, bâillant comme un chaton. Ouais, dis-je, si tu dis.
Primo, je ne voulais pas détruire notre belle amitié
Et deuxio, ses talents en tant que commercial avec l’Éthiopie sont flagrants.

Découvrir ce petit fait-là a pris tout ce temps
Parce que je n’aurais jamais pensé qu’il pouvait gribouiller de telles choses
Parce que moi, je le faisais. Et par conséquent, pensais que lui ne le pouvait pas.

Moi, je le prenais pour un type bien payé du Département d’Outremer, point final.
Mais cette espèce a disparu depuis longtemps.
Aujourd’hui, personne ne se contenterait d’être qu’un cadre sup chargé des ventes.

Je en anglais


14 MELMOTH

Jusqu’à ce jour, cela avait été l’inverse :
Me noyant sous un flot indistinct de paroles
Les débauchés me bourraient de leur propre gnôle ;
Or, ce paillard à la mélancolie perverse

(L’aiguillon tel qu’il n’administre point mais draine)
Tablant sur un bagout si âcre qu’il pénètre
Me dit victime du Destin, devant donc être
Vidée d’un venin déjà présent dans mes veines.

Voici mon bras ! lui dis-je, soudain plus très sûre
D’avoir jamais eu à souffrir ladite injure :
J’ai connu des coureurs de pire godelure –
Ils me blessaient bien moins que lui, par conjecture !

Trop tard je m’aperçus qu’il ne fit sa réclame
Que pour siphonner le plus juteux de mon âme
Réduite à mes dépens à la portion solide
Tel un ilot émergeant d’une mer aride.

Rien qu’avec de l’épais, comment veux-tu qu’on fasse
Sans plus de moyen pour napper ce qui dépasse ?
Prenez aussi l’exsangue, fis-je, spectre leste !
... Mais le voilà enfui sans demander mon reste.

Melmoth en anglais


Trad. 24 Mai 2009

dimanche 24 mai 2009

Héros allumés 3

Lit Heroes, version française 3

15 ROMÉO

Plus il y a de l’amour, moins il y a de la science.
Les amants sont comme des théologiens : ils aiment ou la foi ou le rite.

En apprenant à le saisir mieux
Elle aurait même fini par pouvoir lui procurer quelque plaisir
Mais pour cela, le temps leur manquait.

S’ils avaient eu le temps pour cela
Leurs membres aiguisés auraient pu se tomber dessus ;
Seulement leur affection en aurait pris un petit coup.
Mais de cela, il y en avait trop en revanche pour leur donner le temps
Et ce peu de connaissance requis.

L’abstention en amour ne fut jamais une question de morale, mais de stade.
Ils se trouvaient propulsés dans le stade où avoir affaire à l’univers entier
Signifie méconnaître l’universel.
Elle, fredonnante, ignorait quasiment quoi faire avec son début de trique
Et lui, dans tous ses états, ne savait pas comment lui dire ;
Du coup, pendant un instant, ne restait que leur passion brute...

Même dans les jours d’immense tension, le pâtre, près de son troupeau, sait comment faire
Et il n’y a pas moins d’amour pour autant.
Mais ces adolescents-là n’étaient point observateurs. Ô combien attirés envers l’autre
Ils ne connaissaient pas l’amour.

Roméo en anglais


16 OLIVER

Sonné, un martinet se blottit, tout ramassé le joli petit oiseau.
N’a pas vu la vitre.
Je suis sûr que les deux freux pas loin
Qui pour l’instant l’ignorent
Mais se sont rapprochés

Malins et robustes comme ils sont
Pourraient finir par attaquer
Décidant de ne voir dans leur proche congénère
Qu’une boule de viande délicieusement frémissante
Exactement comme nous-mêmes pourrions le faire.

Une fois considéré comme tel, on est vite perdu
Et ce n’est pas une grande affaire pour celui qui s’est un peu raffiné
De retourner à l’état brut. Fais attention aux passages, sinon...
C’est un boulot ardu, aussi ardu que
Pour un petit martinet de récupérer vite fait.

Oliver en anglais


17 CHINGACHGOOK

La peau, voilà de la beauté pure. De l’armure, de la beauté pure.
Mais l’armure est-elle plus fiable que la peau toute nue ?
Phryné sauvée grâce à son nu rougissant, Perceval abrité par l’armure rouge
Le déconcertant Chingachgook prospérait, lui, sous l’acier de son teint cuivré.

Quand tu pèles un fruit, tu peux en découvrir la douceur
Mais ne tente pas d’entamer la bête vivante, elle s’éveillera et sera féroce !
Existe-t-il vraiment rien-que-la-peau, ou de l’armure étincelante sans peau en-dessous ?

Peau ou armure, ils sont tous les deux comme le cliché d’une chose
Un désir sans âge qui la préserve le mieux.
La surface cirée, bien que certainement pas à niveau avec nous-mêmes
Nous brillons comme d’un noble lustre de statuaire
Et tout glisse, puisque rien ne pénètre.

Où donc est-ce que je la trouve maintenant, mon Aphrodite de Cnide ?
Et où donc le moindre champion d’Arthur ? Et où le dernier des Mohicans ?
Si jamais elle a existé, la beauté seule a dû louper sa cible.

Chingachgook en anglais


18 TADZIO

Pourquoi est-elle si tentante, cette sacrée jeunesse ? Si évocatrice ?
Est-ce que ce garçon simple et sain a la moindre idée
Qu’un vieux chnoque suit chacun de ses tours enfantins ?
Eh bien, s’il savait, par la barbe de Jupiter
Quel embarras et quel tracas !

Le monsieur se jettera à mes genoux.
Aurais-je à remplacer une dame entre deux âges ?
Comment pourrais-je faire une telle chose ?
Ne sait-il donc pas que
Je suis fait pour la masturbation ?

Fait pour la masturbation
Le vieux bonhomme s’essuie les verres
Abîmé en pensées sur Alcibiade, cet écolier qui
Tout empêtré dans la matière et aussi fluctuant qu’il faut
Avec un peu de chance y a réussi un 8 sur 20.

Tadzio en anglais


19 GENJI

Ceci est un rêve
D’égaler le brillant Hikaru
Fidèle en diversité.

Homme du commun, je ne puis aligner des vies et rester sereinement moi-même.
Ma lumière éclaire peu, et satisfaire une seule est déjà victoire.
Pour honorer un amour défunt droit au milieu du crime organisé
La mémoire ne peut vaincre les besoins et du jour et de l’hygiène.

Le manuel danois dit : Sois tout d’une pièce !
Me faisant dissolu, comment être d’une pièce dissolue ?
Quand j’ai envie de bouger, je me mets à en parler et me voilà point parti.
Si je n’étais pas sujet à la gravité, je me casserais comme un voyou ;
Mais on ne saurait être et d’un gris élégant et de couleur voyante...

Je n’essaie pas assez fortement d’admirer les cerisiers en fleur
Cette parabole de la candeur omniprésente soufflée en une seule pluie ;
Je dois vivre mes vies successives dans leur morne permanence et dissolution.

Genji en anglais


20 RODIN

Engagé sur ta voie sans issue, il faut dédramatiser
Comme Pierrot, le clown blanc, à face lunaire. Ou extérioriser
Tel Auguste le Rouge, qui lui, scélérat damné par la beauté
Se rabat sur les corps et à la batte fait passer l’innocence à l’enfant –
Puisque ce serait à quoi ils rêvent sur leur peau immaculée.

Les poignets bien attachés à l’anneau d’un pilier placé haut
Les yeux bandés et le reste, incidemment, dévêtu à s’en pâmer
C’est en se tordant que candeur irréprochable se sublime en péché
Et en tournoyant, dépouillée sous un bien morne fouet.

Finies les idées malsaines lorsqu’on rencontre la chair déjetée
Tant soit peu élevée par une poigne assez cruelle pour la guérir.
Grattée là où tu démanges, ta peine et tes prières vont à la divinité
Qui répond dignement, pour un être suprême, en éclatant de rire
Au lieu de geindre, une fois détachée, face et corps contre terre.

Lorsque tu auras acquis une connaissance plus profonde, ma belette
Il n’y aura plus de traces, si c’est cela que tu crains ;
Mais au moins un petit peu de drôlerie restera dans le monde réel.

Coincé sur ta voie sans issue, la meilleur façon de t’en sortir
Est de t’adonner corps et âme à ces arguties scolaires
Qui font croire qu’il n’y a point de bourreau au grand ailleurs.

Rodin en anglais


21 AKAKY

Lorsqu’un domestique – ou nez – après des temps immémoriaux
S’est résolu à ficher le camp
C’est très probablement à cause d’un maître apathique.
Lorsque ton loyal manteau est chapardé ou s’est perdu en route
C’est la faute à ton irresponsabilité, propriétaire.
Faut le garder à l’œil, notamment lorsque tu le sors en promenade

On ne peut pas voir son propre pif, et le chenapan en profite ;
Mais il est facile de surveiller un manteau, au moins le devant.
Si tu y tiens en permanence la main accrochée au collet
Personne ne pourra te le piquer sans tirer comme un fou.

Si je fais un avec mon nez, moi et ma fourrure font deux.
Une jolie fourrure, en peau de chat, peut me transformer en quelqu’un ;
Dans certains endroits, je dois manquer de pilosité naturelle.

Tout ce dont je peux être dépouillé, ce n’est pas moi, et il y en a plein.
Tout ce dont on ne saurait me dépouiller, serait-ce donc moi ?
On peut me priver de mes complexes, et on peut me priver de mes désirs
On peut même me déposséder de toute ma pauvre existence sur terre
Mais, tant que je suis là, on ne peut pas divertir mon attention d’un pouce.

Et c’est moins un manteau qu’il me faut pour cela
Que la perte de ce manteau, ou son expérience littérale.

Akaky en anglais

Le Quichotte de Cervantès
Le Gulliver de Swift
Le Narrateur de Proust
Le Vendredi de Defoë
Le Quasimodo de Hugo
L’Ulysse d’Homère
Le Siddharta de Hesse
Les deux Sganarelle de Molière
Le Simplicius de Grimmelshausen
Le Philéas de Verne
L’Achab de Melville
Le Willy de Miller
Le Je de Rimbaud
Le Melmoth de Maturin
Le Roméo de Shakespeare
L’Oliver de Dickens
Le Chingachgook de Cooper
La Tadzio de Mann
Le Genji de Dame Murasaki
Le Rodin de Sade
L’Akaky de Gogol

Trad. 24 Mai 2009

jeudi 14 mai 2009

Entre prédateurs de jardinet


Dans mon petit jardin, un petit animal
Mène sa vie dans la discrétion et le silence.
Peut-être un monstre pour encore plus petit que lui.
Ce n’était pas prévu, mais ce matin
Nous nous sommes rencontrés
Et on s’est regardé sans bouger – lui, peu rassuré
Mais sans s’enfuir pour autant.

De la bonté. Mais laquelle ? Découvrit-il
De la bienveillance dans mon regard ? Et moi –
Ému, que trouvai-je dans le sien de prédateur de jardinet ?
Nous nous sommes quittés, chacun retournant dans son monde
Hors de la vue de l’autre, mais en vérité, c’est le même
Nous n’avons simplement pas les mêmes victimes.

Après, j’ai pensé à Larkin, sa tondeuse, son hérisson
Qui a donc eu moins de chance que ma bestiole à moi
– Je n’ai guère de belles herbes dans mon pauvre jardin –
Et je me suis dit, me voyant dans la bête et dans l’autre poète :
Si c’est comme ça, si l’on risque de mauvaises rencontres
Mieux vaut encore crapahuter dans les friches
Que profiter d’un terrain par trop soigné.

14 Mai 2009

mercredi 6 mai 2009

Une question de principe


Il n’y a pas assez de place ni d’espace en ville.
Pour avoir de la place et de l’espace, il faut
Quitter la ville.
La grande maison dont on a besoin
Se trouvera en rase campagne.
Ne la cherche pas en ville, la plus
Tentaculaire des métropoles est trop petite, elle
Ne s’y trouve pas, ta maison.
En rase campagne, si.

Il y a beaucoup de place en rase campagne.
Assez pour une demeure des plus spacieuses.
La campagne ne s’en ressent guère, elle reste rase
Comme si de rien n’était ; une demeure
Aussi grande soit-elle, malgré toute sa place
N’y diminue guère l’espace autour d’elle.
Il n’y aura donc pas seulement
Énormément de place dans cette maison
Mais aussi alentour. Comment dire ? Lovée
Entre l’imperturbable et le généreux, elle paraît
Toujours bien trop exiguë, ta maison
Alors même qu’on l’y trouve.

6 Mai 2009