samedi 30 décembre 2023

Nirvana

           “Tu affretta, / se puoi, tua morte. O non pensarci più.”
                                         Umberto Saba, Vecchio e giovane 

 1. Rien à la télé

    Les yeux embrumés par le manque de spectacle –
Que faire quand il n’y a rien à voir ?
    Que faire de ton peu de vie quand par miracle
Étincelante dans le désespoir
    La franche nuit se lève dès le soir
Pour te tourner le dos en mur de désobstacle ?

    Parlons alors de l’âge en termes de débâcle :
Il est de ceux qui brillent dans le noir.

[Parler ici de télé au lieu d’internet qui, lui, ignore le néant, est en soi le signe d’une inexorable sortie du monde des vivants.]


2. Im Dienste der Nachgeborenen

Geh nicht dahin, ohne zu hinterlassen!
Weil es den Tod versüßt, vom Toten zu erben
Sollst du mit deinem Angehäuften sterben;
Sonst wird man dich auch hinterher noch hassen.

Geh einen Goldschatz lassend, nur kein Werk
Und statt als Held, als Alberich, als Zwerg.


3. An Aphorism on Perspective

If existence gives man a preview
Of nothingness, it is to let him foresee
What will come after it: Things will continue
As before. Hence the issue of Eternal Life resolved.


December 30, 2023

dimanche 17 décembre 2023

Squiggles, Frills, or Curlicues

Comment les appeler, ces ornements
En houle de surface, falbalas
Qui, sans en dévier le cours, définissent

Ta vie, rendant, sans t’en sortir, moins lisses
Les ornières qui mènent où tu vas
Te laissant croire au hasard des moments ?

C’est que, sur le vélin de nos contrats
D’engagement, les seules fioritures
Et non les noms font foi de signatures.

15 Décembre 2023

samedi 2 décembre 2023

Passage

Je ne m’élève pas bien haut
Je ne descends pas bas
Je reste à la surface par nature :
Le peu qu’on monte ou plonge est pour la forme
On est assez dans l’énorme.

Il est sans intérêt, l’immense
Il divertit l’esprit quand il y pense :
Je me grandis au fur et à mesure
Que je ne sonde guère
Que je me hisse à peine.

Au loin, je vois tourner le phare
En mer, calmes balises ;
Te suffise l’écueil à portée d’encablure :
Heureux de ces limites
Tu dois l’aimer, la peau que tu habites.

2 Décembre 2023

 
 
[Aurore Salomon, Nordhavn Book. 2007]

mardi 14 novembre 2023

La preuve

Si nous nous étions séparés
Je pourrais avoir l’espoir que tu
Me reviennes un jour.

Mais nous ne nous sommes
Pas séparés, restant au
Contraire le plus près possible. Le fait que

Je ne puisse avoir aucun espoir est la preuve
Tangible que nous ne nous sommes jamais quittés.
Logiquement, on est toujours ensemble.

Être ensemble comme une maison solitaire
L’est avec le paysage
Au sein duquel elle a été bâtie

Ensemble comme avec le vent
Avec les éléments. Drôle de compagnie quand c’est
Le seul paysage qui t’accompagne –

Lui, souffle nu et maison muette et nue, l’accord est
Plus parfait en quelque sorte
Qu’entre deux maisons lovées dans un creux.

On s’use vite sans
Le bruit vivifiant des pas. Le vent
Remplace et maintient un peu.

11 Novembre 2023

[Hopper, Ryder’s House. 1933]

vendredi 3 novembre 2023

Zum Ghasel Nummer 3

اگر آن ترک شیرازی

Er rühmt sich, ganze Städte gäb er liebend auf, gelobt Verzicht
Für diesen finstern Leberfleck in jenes Türken Bleichgesicht

Erwähnt erhabenes Gefühl... Doch wer begehrt, was fühlt der schon?
Der traut nur seinem Blick, als sei der ungetrübt, mehr kennt er nicht.

Er kennt nicht, wen er vor sich wähnt, sieht bei ihm nur den ______________________________________Hautkontrast
Den Makel, der vollkommen macht. Was er sich wohl davon ________________________________________verspricht?

Soll er getrost behalten, was er hat, und sei’s ein Königreich:
Will er was opfern seinem Schnuck, dann bitteschön sein Augenlicht!

Sonst ist nur eitel Quasseley – der Kasper schwärmt vom Hindumal
Schwarz wie die schwüle Tropennacht, und kocht sich das zum  _______________________________________Leibgedicht.

Er stottert: Liebster Leberfleck... Hirnrissig hingerissen, reimt
Und träumt und meint sich dennoch wach, weil, wer nicht schweigt,  _______________________________vom Schweigen spricht.

So schwärmt er sich den Türken lieb, obzwar dem bloß was ________________________________________Niedliches
In seines Näsleins Nähe sitzt, und ghaselt gar vom Weltgericht.

Das Weltgericht, das kümmert nicht, was du empfindest kreuz und  ____________________________________________quer.
Wer liebt, der sollte blind sein und ertasten, was das Herz ihm  ___________________________________________bricht.

Du, Hafis, fuselvollgepumpt, schwebst von der Schönheit hoch zum  __________________________________________Nichts –
Und so stimmt alles, denn allein das Federleichte hat Gewicht.

30. Oktober 2023

mardi 31 octobre 2023

Son poids

Je dors parfois de son côté et tant qu’à faire
En l’y remplaçant, je me prends un peu pour elle :
Le matelas n’est guère usé, sur cette terre
Elle a toujours été légère, ma très-belle.

Quand c’était elle qui se balançait, son pin
Lui tendait, muet, le bras gracieusement plié
Craquant sous de plus lourds. Quand eux, ils l’ont scié
La v’là déjà au loin, envolée aux confins.

Lanceuse d’escarpin sur son escarpolette
Princesse à presque pas d’empreinte sur sa couche –
La couche est désertée, du pin reste la souche
Et de son court passage un souvenir de fête.

27 Octobre 2023





 

 

 

 


 Photo © Lutz Potrawa

lundi 30 octobre 2023

Fragmens emphatyques

Terrassé par la hernie, il me fallut attendre. Ni la station debout ni la couchée m’étant permises, j’étais réduit à l’assise. Qui dit assis, dit médiocre, et qui dit médiocre, dit grandiloquence. Je suis comme tout le monde : pour me désennuyer, je me précipite sur le graveleux. Le graveleux c’est l’emphase, la boucle est ainsi bouclée. Et si moi-même, rigoureux sinon austère en situation insatisfaisante, je le fabrique sans difficulté sous la forme d’épopées interminables, le lecteur cultivé ne saurait le supporter que fragmentaire. En voici de courts extraits.

1. Premier aveu


        « Rajuste-toi ! » lui criai-je après dans le silence.
L’écho m’a répondu du haut du ciel : « Et toi ? »
Le retour à la vie n’est que peine et souffrance.

                                       *

        Viens, bonace, un grand souffle a brassé chaud et froid !
Séduit, l’ange a nourri mon cœur de sa semence
Enfui, il m’a laissé son odeur sur le doigt

        Le jeu pervers, les règles l’innocence même
Faisant frémir son halitueuse peau d’albâtre :
Pour fondre forme et fond, raisons et corps, blasphème

        Et dévotion, il a suffi d’être idolâtre !
Las ! les aimants censés se repousser, s’entr’aiment
Et ceux qui s’aiment sont outillés pour se battre.

                                                               (Chérubin, âne et ange. Fin)


2. Deuxième aveu

J’ai eu la vie privée privée d’inanités ;
Loin de ces horizons, je me suis vu de près.
La langue se desséchant sans mondanités
Le monde tel qu’il est m’est resté un secret.

J’aurais dû mettre des couleurs : de loin, le noir
Et blanc ressemble un petit peu au désespoir.
Le dégradé des tons parfois gai, parfois triste
De près, le camaïeu fait bien plus réaliste.

                                         *

Or, il n’y a que le rose dans ce nuancier.
En teintes, j’ai seulement celles-là, j’avoue :
Du plus tendre des roses au plus prononcé
Qui, lui, accuse réception de mauvais coups.

Le rose frais des joues, le rose bleu des fesses
Rose de honte, écarlate des cent splendeurs
Les mauves roses qui éclosent aux rondeurs
Du corps, couleur bonbon jusque dans leurs détresses –

Tout s’est résolu à cette déclinaison.
J’aurais voulu lui opposer la plaine verte
Du ciel dont parle le génie de ma maison
Mais je n’ai jamais vu de prairie moins ouverte.

                                                               (Du divan)


26 Octobre 2023

dimanche 29 octobre 2023

Lumière et ombres

1. De mortuis

Fat cause de lumière lorsqu’il faut parler de nuit –
C’est bien la morte, et elle seule, qui constate l’éclairage
Mais à coup sûr pas le vivant, le fabobin, imbu de certitudes.

Qui a l’esprit de contradiction et le bec baveux
L’a bien facile, il n’a qu’à obéir au dogme
Il n’a qu’à suivre l’alphabet :

L donne la Lumière, puis M la Mort, N la Naissance.
O comme Obsèques. Celles-ci réglées, il n’a
Qu’à continuer en atmosphère :

P comme Paix, Q comme Quiétude, R pour Repos.
S évoquant Silence, et T, Tranquillité.
Si après, les choses se gâtent

L’imbécile s’arrangera toujours : U = Univers, V = Vérité.
X = Xéranthème (un genre d’immortelle).
Yoga, ma foi, puis Zen.

Les Waters où tout foutre, il les oublie exprès ; je les lui laisse.
Faudrait avoir un petit peu de retenue et de décence, cher
Quand le cœur du métier est le négoce de cadavres.


2. Appendicite

Depuis l’adolescence, je n’ai plus connu
De période aussi étendue de désir inassouvi
Je ne savais même plus ce que cela voulait dire.

Le désir n’était là que pour être assouvi, il était attendu
Comme une mère attend la faim de son enfant
Pour avoir le bonheur de le nourrir.

Le désir nous collait quasiment à la peau
Pas la peine de nous confesser quoi que ce soit, très
Profitable, ce désir gluant, on n’aurait pas su comment faire sans.

Désormais, il est juste là, en rappel de la solitude
Mais sans la juvénile foi de rencontrer
L’âme avec qui brûler d’envie.

Ce désir est devenu aussi superflu
Qu’un organe ayant cessé de jouer son rôle
De la sorte réduit au grotesque appendice d’un barbon.

La maturité d’un appendice est hélas irréversible
Et ceci en raison du plaisir éprouvé
Pendant presque une vie.


26 Octobre 2023

samedi 28 octobre 2023

Le coup

Parvenant à entrer – il faisait froid dehors –
Elle s’est crue sauvée, bourdonnant son content
Mais un seul coup faisant mouche a scellé son sort
Ce coup pernicieux, nul ne sait où il l’attend.

Sa joie de vivre, en fait, me fut un déplaisir :
Vaut mieux n’en laisser rien transpirer, joli cœur !
Pas assez mouche pour pouvoir croire au bonheur
Humainement, je sens toujours le coup férir.

D’abord fier de mon coup, parfaitement cerné
Face à la morte, ému, je me suis pris pour fou.
Son gai bourdon, en quoi m’avait-il concerné ?
Je me le demandais, dépité après coup.

– Si tu l’entends chanter, la chance, et ça t’agace
Rien de plus clair : ton irritation est le signe
Que d’une vie meilleure, insecte, tu es indigne.
Donne-la, cette claque à toi, grand bien te fasse !

– La claque m’abattrait, faut pas que je me touche.
Ce n’est pas le bonheur qui gêne en tant que tel
Il ne m’est pas proscrit, je suis comme la mouche
Et comme elle, il me perd dans ce cosmos cruel.


26 Octobre 2023

mardi 3 octobre 2023

Amies et ennemies

La guêpe tourne autour de la feuille
Elle cherche quelque chose. Moi, je sais.
Depuis que la grosse chenille verte est mon ennemie
La fine guêpe avec son train d’atterrissage sorti est mon amie.
Ça va vite avec les bestioles.

J’ai vu la guêpe découper la chenille, mon ennemie :
Elle l’a d’abord sucée pour la dégonfler, puis découpée
Pour pouvoir en emporter les bouts, portions suffisamment légères
Pour être transportables. Elle fait plusieurs voyages, c’est obligé
Et n’oublie jamais le dernier tronçon.

Les insectes sont comme les hommes :
Au besoin, ils sont capables d’être spectaculaires –
Gros mangeurs d’une placidité de nuisible
Ou maigrichons très organisés dans leur détermination brutale
C’est ainsi qu’ils dépendent les uns des autres.

Homme, on est un peu dans l’embarras –
On peut être guêpe ou chenille ;
Sur le moment, personne ne pense au papillon perdu.
Mais l’homme peut aussi être papillon
Pour peu qu’il arrive à ce stade.

Il n’y a pas de combats entre guêpes et papillons
Ils s’ignorent mutuellement, c’est beau à voir
Car le combat a lieu avant et tourne toujours à l’avantage de la guêpe.
Le seul suspense : trouvera-t-elle sa chenille, d’un vert de feuille ?
Le papillon, lui, est un survivant.

Il n’y a que les survivants qui peuvent se permettre de faire papillon.
La vie, elle, se passe entre guêpes et chenilles.
Le papillon, dans sa tour d’ivoire alors...
Il ne connaît pas la vie, lui
Elle est déjà derrière lui quand il naît.

Léger comme l’air
Il se met à pondre de petits œufs
Qui deviendront de grosses chenilles.
La guêpe
N’a qu’à lui foutre la paix.

2 Octobre 2023

lundi 2 octobre 2023

Presque

Le visage m’est toujours très proche
Et la partie la plus proche en demeure la bouche.
En image, sa bouche me touche presque.

Il manque si peu
Pour que nos lèvres se sentent
L’importance qu’elle a toujours eue, la bouche, lui est restée.

Or, tout est dans le presque
Il n’y aura plus rien d’autre que le presque.
Désormais, l’eau près de la bouche doit suffire pour me désaltérer.

Quand je dis presque, je dis la présence.
Sans présence, même pas ce presque.
La présence du presque est douloureuse et rassurante.

Nous arrivons donc presque à nous toucher
Et nous nous sommes donc toujours très proches
Seulement, ce n’est plus un jeu comme dans le temps

Lorsque, frétillant, l’un se tendait comme un arc
Tout en se refusant le droit d’être effleuré
Par la langue ou les lèvres salvatrices, toutes proches.

L’énervement du laisser durer : ça s’éternisait
Mais – le supportable ayant ses limites –
Sans que l’attente fût interminable.

Maintenant, elle l’est.
Quoique.
Interminable ne veut rien dire quand tout doit trouver sa fin.

Sans espoir de délivrance, je finis par me détourner
Et, à mon regret, j’abandonne l’image
Pour une autre fois.

29 Septembre  2023

jeudi 28 septembre 2023

Mummy

À plus de soixante-dix berges, celle-ci a cru approprié de me raconter sa rencontre. Rencontre de rien du tout avec un jeune Tarzan sur un vélo qui se passait la main dans sa luxurieuse chevelure « avant que nos regards ne se soient croisés ». Et que depuis, elle ne pense qu’à lui. Donc du vrai coup de foudre de la part de la géronte, sauf qu’il est fort probable que le jeune homme a regardé dans sa direction par pur hasard, en observant le trafic, je subodore, ne voulant pas écraser une mémé. Ces choses-là, on a le droit et même le devoir de les raconter quand on est en mesure de les transformer en œuvre d’art, en poème ou au moins en pensée. Il vaut mieux les garder pour soi tant qu’elles ne constituent qu’un sentiment brut, non sublimé. Mais tout le monde s’estime désormais autorisé à se constituer en individu disposant des privilèges réservés au sel de la terre, autrement dit aux anciennes royautés toujours régnantes que sont les alchimistes faiseurs d’or. De l’or sans or – la morne promesse démocratique, je crains.

When desire meets reality
You may feel ready for the pyramid
But mausoleums are simple thoroughfares
You remain a mere transient anywhere you stop.

The mummy of Ramesses I
One fine day became a freak show exhibit.
If that’s the way things turn out
Don’t ever try to get mummified, it’s pointless.
– Oh, I’m just not afraid.
I’m not Ramesses
And I’ll be buried among actual paupers.

– Queen Hatshepsut in person was interred next to bond folk.
She ended up unearthed and her poor teeth were studied.
Terrible chompers for an otherwise outstanding lady.
So this is no solution.
– I sure don’t ask for solutions.
As a transient, I don’t even wish to wind up somewhat interred.
You best consider me a piece of garbage once I’m dead.
– You seem to ignore human dignity.
– As a born pharaoh I have
The innate right to.

September 27, 2023

mercredi 20 septembre 2023

The Child

Cor blimey, was she sweet!
And stayed that way. That’s rare.
Most children are soon tired of their charm.

Constantly does this shielding change occur:
They grow up into dreary bores.
Beyond me why she didn’t.

Her body changed as much as they all do
And her mind also had to sharpen to survive;
However, she kept sweet. A miracle, if there is one.

Does not the nimble tadpole feed to morph
Into a squatting toad, while airy butterfly
In fact heads for another earthy worm?

Nature’s keen to take vengeance for conceded levity:
Does not experience afflict the childish joy
Before long bound to alter and alloy?

They are both helpless against stubborn graciousness.
The air she breathed was pure by luck and will
And in this vicious grave, must be so still.

September 19, 2023

lundi 18 septembre 2023

Vom rechten Augenblick

1. Das K-Wort

Wenn es nicht geklappt hat, muss der Kairos herhalten.
Endbetont, damit es so richtig fetzt.
Da heißt es dann: Kairós verpasst
Den Kairós wie den Bos.
Um wie viel denn?
Ich würde schätzen, fünf bis zehn Jahre.
So wenig? Und du machst ein Gezeter, als wären es Ewigkeiten.
Knapp verfehlt ist auch daneben.

So ziemlich jeder hat im Alter den Zeitpunkt
Wo er dann den Kairos hervorkramt
Als zu verpassenden Omnibus.
Wann geht denn der nächste, bitteschön?
In diesem Leben nicht mehr.
Sie sollten die Takte verkürzen.
Als ob öffentliche Verkehrsmittel nur für dich da wären.


2. Vesuv

Dächte ich, was ein Vesuv zur Folge hat
Würd ich nicht so brodeln immerfort.
Unbekümmert brodle ich, anstatt
Mich nur um mein Glück zu kümmern.

Wenn zur Nacht die schönen Feuer schimmern
Oben, kommt die Stunde nah.
Bleib nicht, wo du bist, hinfort, hinfort
Hurtig weg von dräuender Gefahr!

Deine Fluchtwege zum Meer gehen bergab
Wie der Strom der Lavamassen auch.
Spute dich, die Zeit wird knapp
Riechst du denn nicht schon den scharfen Rauch?

Schrei mir nicht ins Ohr und mach mich doch nicht wild:
Hab vor glühender Schönheit keine Bange
Noch vor jähen Eruptionen
Brodle nun doch selber schon so lange.

Wegzurennen vor dem Höllenfeuer
Ist nicht Teil meiner Optionen
Seh in mir doch selbst so ungeheuer
Jenes Schwefelkegels lebend Ebenbild.


3. L’art de partir à temps


Le fruit mollit, blettit et tombe ;
Refermant la graine espérante
Il éclate au bon moment.

Confiant en rien, tu hésites
Sans perspective tu t’attardes trop
Pourrissant sur pied.

Impatiemment, tu arraches le fruit trop tôt
Pour le croquer à moité vert ;
Son acidité est désespérante.

Qui sait se détacher
Entend son horloge interne
Quand il se voit encore en fleur.

Il se prépare au départ
Dans l’âge de la vigueur ;
Après, il n’en aura plus l’occasion.


17 Septembre 2023


dimanche 17 septembre 2023

Loca, Linguae, Levavot

[Wer einem in der Muttersprache begegnet, kann sich meist gar nicht vorstellen, dass er einem auch in einer anderen Sprache begegnen könnte, aber so ist es. Ich könnte ihm auch gerne etwas mitteilen von dem Ort, an dem ich mich befinde, doch es ist nicht möglich. Nicht, weil ihn das nicht interessieren würde, sondern weil er den schon zu kennen glaubt. Was man zu kennen glaubt, kennt man am wenigsten, das Herz steht dazwischen und verhindert jedes nähere Kennenlernen. Wer mit dem Herzen kennt, kennt nur sein Herz, aber das umso genauer, wie er am Ende wohl auch noch annimmt. Es hat gar keinen Sinn, sich todesmutig dazwischen zu werfen, zwischen ihn und sein Herz, mit irgendwelchen geistvollen, jedoch herzlosen Sätzen. Der andere will sie nicht hören, er schaltet die Ohren auf Durchzug, denn sein Herz ist jedem heilig. Selbst wenn er wollte, verstünde er nichts, wo doch das Herz längst seine Meinung hat. Gehe gegen die Herzen nicht an! ist ein Ratschlag, den ich mir nun einmal zu Herzen genommen habe, denn ich besitze ja auch eines. Erst wenn es darum geht, jedweden Ort zu verlassen, werden derartige Ärgerlichkeiten nebensächlich.]
 

1. Späte Fremdheit

Du musstest dich abfinden vor mir.
Jetzt bin ich noch da
Und da, wo wir uns getroffen haben
Und da, wo wir miteinander gelebt haben
Und wo du dich dann abfinden musstest.
    Und ich musste mich abfinden mit deinem Abfinden
Und bin nicht mehr völlig am richtigen Platz.

So richtig, wie er durch dich geworden war
Kann er jetzt nämlich nicht mehr sein.
Was tu ich eigentlich noch hier?
Ist hier für mich denn überhaupt noch ein Platz?
Aber alles erinnert an dich.
    Einen richtigeren Ort kann es für mich also gar nicht mehr geben
Ungeachtet dieser späten neuen Fremdheit.


2. Chanson

Le lieu n’est plus le lieu
Le temps n’est plus le temps
Mais tout reste vrai.

Le seul choix de jeunesse
L’est aussi de vieillesse
L’avant est l’après.

Ailleurs n’est plus ailleurs
Toujours n’est plus toujours
Mais tout reste près.

Si je ne bouge pas
Si tu ne bouges pas
On s’y trouvera.

15 Septembre 2023

samedi 16 septembre 2023

Lares

Tu le sais bien :
Le matérialisme dialectique veille sur moi.
À sa façon, façon artisanale
Et avec ses falaises, car la côte est bien proche
Puis avec le nain devant tout ça.
Ma foi, quel nain ? Celui-ci, pas un autre.
Son chapeau est rouge, et plein de choses l’entourent.
Si je n’avais mon matérialisme dialectique
La maison serait vide. Invivable.
Je l’aime pleine, ma maison
Et sans toi, scélérate
Faut que je la meuble bien plus encore.

Toi, tu n’es pas parmi mes lares.
Tu es l’esprit qui les irrigue tous de ta proximité
Tu es le grand facteur qui relativise.
Enfin, tu es la vie qui rend la vie possible
Toujours et encore.
Sans soi
Simplement ni Dieu ni Maître.

15 Septembre 2023


mercredi 13 septembre 2023

Kunterbunt im Grau-in-Grau

Des Himmels Farben werden abends bunter
Weil es der Nacht zugeht.
Und grau? Kommt denn nicht grau vor schwarz?
Ist denn mein Leben jetzund bunter?
Mit dem Erleben ungeahnter Schrecklichkeiten
Ist Bunt das neue Grau
Blutbunt mit Schleim: das wahre Grau der Sterbeklinik.


 


 

 

 



Du bariolé dans le camaïeu

Le ciel du soir se fait bariolé
Puisque la nuit arrive.
Et gris ? Ne serait-ce pas le gris qui prélude au noir ?
Ma vie, dis donc, dès lors plus bigarrée ?
Expérimentant d’inouïes horreurs
Multicolore est le tout nouveau gris
Sanguinolent diapré de glaires : le véritable gris du palliatif.

 

 Variegated Drab and Gray

The evening sky a motley shroud
Because the night is nigh.
And gray? Is not gray the last shade prior to black?
My ending life, more colorful by now?
Gone through woe and dismay
Gay’s the new gray
Bloodpaint with slime: the real gray of hospice wards.


September 12, 2023

 


 

 


lundi 11 septembre 2023

Paradiesische Zustände

1. Umzugspläne

– Wo möchtest du denn hin, Junge?
– Einfache Frage. Ins Paradies.
– Und wie kommst du hin?
– Einfache Frage. Mit dem Zug.
– Wenn das so einfach ist, wird es überfüllt sein.
– Je mehr da sind, umso besser.

Wie sehr man sich doch täuschen kann
Wenn es um das Paradies geht.
Von den Stränden im August nichts dazugelernt?


2. Dieselben Gesetze

Das Paradies, das ich zu früh gefunden
Hat sich als Kartenhaus herausgestellt –
Nicht, weil es einen Windhauch fürchten müsste
Sondern, weil ich es muss, Geschöpf der Welt.

Wer meint, dass Paradiese ewig halten
Und einem lediglich Hinauswurf droht
Verkennt die wirkliche Gefahr des Lebens
Im Paradies: den Paradiesestod.

Es ist fürs Paradies ohne Bedeutung
Ob oder wann es jäh zusammenfällt –
Ein schönres Sterben gibt es nicht auf Erden
Und auch nicht in des Himmels Lügenwelt.

Doch ich, zu lang in Sicherheit gewogen
Missachtete das einzige Gebot
Des Paradieses: Lasse dich nicht täuschen
Du nährst dich hier von unverdientem Brot.

Ich hätt es kommen sehen müssen, hätte
Mir sagen müssen: Bleib auf dich gestellt
Was immer dir geschenkt, in Paradiesen
Zählt auch nur, was auch außerhalb nur zählt.


3. Nicht den Tag noch die Stunde

Keiner weiß im voraus, wenn er zum letzten Mal
Aus einem Glas trinkt oder einem Teller isst
Bevor ihm das Geschirr aus der Hand fällt und zerbricht
Er weiß zu seinem Glück nicht, wann ihm die Hand versagt
Doch ist oft hinterher noch da, um die Scherben zu bewundern
Sich ein wenig vor ihnen zu fürchten und sich zu sagen:
Hoffentlich bleiben keine übrig, weit verstreut
Man übersieht ja so schnell
Wenn schon die Hand nicht mehr will.

Die Welt ist auch hinterher noch da
Wenn einer ihr aus der Hand gefallen ist.
Sie kann seinen Leichnam bewundern
Sich ein klein wenig davor fürchten
Und sich vermutlich auch sagen:
Hoffentlich bleibt nichts von ihm übrig, weit verstreut.
Sie übersieht ja so schnell
Wenn schon ihre Hand nicht mehr will.


11. September 2023

dimanche 10 septembre 2023

Silences

i.

Le silence parlant est certes plus rare et précieux
Que les phrases qui ne veulent rien dire
Mais est-ce une raison de se taire ?


ii.

Lorsque le silence arrive à pattes de velours
Il fait ce qu’il maîtrise à la perfection.
Il est comme l’âge
Et tel l’âge
Il est d’une douceur qui ne pardonne rien.


iii.

Lorsqu’on se met à écrire des poèmes d’amour
En général, c’est parce qu’il y a de l’eau dans le gaz.
Tant que tout baigne, on n’écrit rien
On ne se dit même rien
Tant que tout baigne, tout se passe en silence
Pas besoin de mots
Les mots c’est pour quand il y a un problème.
L’unique autre circonstance qui te force à parler
C’est quand, silencieuse, la mort est passée.
Contre elle
Rien de mieux que les mots impuissants
Jetés au vent.


iv.

Désormais, je me promène en silence.
En voyant les choses, j’aurais toujours des choses à dire
Mais la vie fait que je les garde pour moi.
Est-ce que mon regard profite de ce tout nouveau silence ?
Absolument pas. C’est une erreur de penser
Qu’il faut s’évertuer à savourer sans mot dire
Car lorsqu’on savoure, c’est toujours en silence
Les mots ne viennent qu’après.
Donc pas de différence.
Le silence n’est pas une plus-value
S’il n’est pas naturel
Il est juste subi.


v.

Si le silence a cessé de lutter
Il n’a pas cessé de ne rien céder :
Tu ne lui arraches rien, son poing fermé
Est la forteresse la plus imprenable de toutes.
Personne ne vaincra jamais sa résistance par la faim ;
Les réserves du silence sont aussi inépuisables que ses raisons.


8 Septembre 2023

jeudi 7 septembre 2023

Neighbors Below

Every fucking cig he smokes, I smell.
Doesn’t even realize, for sure
When you’re in it, you don’t know that you’re
Just that part of someone else’s hell.

Why do stinking fumes go up, how come?
Is foul herbage suddenly welcome?
Downright barbecuing little brother
Seems at least to bother with the smother.

I must thus rethink the ancient story:
Candid Cains daily pollute the air
While dumb Abels – thank God for his glory! –
Mostly keep their bloody lamb chops rare.

September 6, 2023

samedi 2 septembre 2023

Funny Valentine, etc.

Mon oncle chéri, pratiquement mon père
En l’absence du biologique, oncle
Né il y a quatre-vingt-onze ans, jour pour jour
Et mort il y a déjà presque vingt-et-un ans
En mourant, a écouté en boucle
Undercurrent de Bill Evans et de Jim Hall.
Le sachant, je me suis acheté ce disque
Peu après sa mort, et ce soir
Je l’ai mis dans l’appareil pour la première fois.
Je ne suis pas sans savoir
Que l’éternité est exactement éternelle
Mais vingt ans ou un peu plus
Me font éternité dans ma petite vie limitée
Et je suis content, si le mot est juste
Que, malgré tout, le temps passe
Et, enfin, je puisse l’entendre.

1er Septembre 2023

vendredi 1 septembre 2023

On the Accent of Truth

Who’s not afraid of tacky Pearly Gates?
Fondness for pearls, or creeds, on this down planet
Does not insure the proper meeting of one’s end, it
Is the worst noose man has to fear, quoth Yeats*.

Won’t head for hells, nor heavens: boons and banes
The lower world is vast enough for no
Beyond, once rid of all, thy bones shall go
Where, slowly bleached, rest th’retically remains.

You ask me: Will you go or will you stay?
I answer: Where to go while staying here?
You tell me: Anyways, you’ll disappear.
I giggle: Is that not a question of delay?

You scold me: You’re one mindless optimist!
I say: You better cut me off that list.

August 31, 2023

*Under Ben Bulbenmar a déarfá.

jeudi 31 août 2023

Absicht, Ansicht, Aussicht

1. Absicht

Sie wollen, dass ich niederkomme
Ich komm aber nicht nieder
Ich will doch keine Mutterrolle
Für meine leisen Lieder.

Ich hab doch keine Absicht nicht
Ich flüstre euch nur was vor
Und wenn ihr glaubt, ich scheue mich
Dann beiß ich euch ins Ohr.


2. Ansicht

Dem Merian seine gestochenen Ansichten
Sind auch nicht wertvoller als meine verschwommenen;
Meine sind wenigstens bunt.
Wenn ihr unbedingt was Scharfes und Steifes wollt
Dann hängt euch eben einen Merian wohin.
Bei mir ist alles im Fluss
Aber dafür stimmt es auch mit der Gegenwart überein.


3. Aussicht

Ich stand auf einem Aussichtsturm und schaute tief ins Land
Und von der Aussicht her vergaß ich völlig, wo ich stand.
Wer eine schöne Aussicht hat, vergisst oft, wo er steht
Und wäre keine Brüstung da, käm jede Hilf zu spät.


30. August 2023

mercredi 30 août 2023

Gris chatoyant et ski

1.Gris chatoyant

En fait, je n’ai appris que des choses inutiles dans la vie
Ce qui m’a forcé d’aller au plus près des choses.
Qui apprend utile, garde ses distances.

S’il a une vue panoramique sur sa vie trépidante
Le détail lui échappe, il s’en désintéresse –
Pas de grandiloquence sans négligence.

Mais le soin réduit la vie
À des tours au cimetière. Rien
De plus inutile, et rien de plus près.


2. Ski


Dans ma jeunesse, j’ai fait du ski.
D’abord un peu obligé, pour que je bouge
Et en effet, glisser vite n’est pas mal, c’est un plaisir.

J’ai glissé le long de mon chemin
En contournant les obstacles vus de loin
J’ai senti le vent, et en adulte même sans les skis.

Je me suis donc permis de remarcher.
Suivant ma pente, je me suis mis à lambiner
Et j’ai fini par m’arrêter carrément devant les choses.

Une sorte de lèche-vitrines
Microscopique, mais toujours
En voulant sentir la caresse du vent.

Pas mal comme sport
Et en même temps très personnel.
Peut-être trop. Sans skis, on te le reproche.


29 Août 2023

mardi 29 août 2023

Nächtliche Evolutionstheorie

Zum Unterschied von Nacht und Nacht
Brauchts nicht nur gute Augen
Sondern auch solche, die zum Leuchten taugen.

Die Tage sind sind dazu gemacht
Im Eignen aufzugehen;
Bei Nacht kann man die Differenz noch sehen.

Wir leben von der Diskrepanz
Sie kommt uns sehr gelegen –
Wir wüssten nicht, wie sonst uns zu bewegen.

Der alte Darwin hats erkannt:
Dem Fischchen wachsen Beine
Bevor es krabbelnd feststellt, es sind seine.

28. August 2023

 [Paul Bilhaud, Combat de nègres pendant la nuit. 1882]

lundi 28 août 2023

Traumatisme

Lors du changement de ma housse de couette
Je me suis demandé si la couture, colorée
Devrait être apparente ou cachée.

Non sans mal, j’ai fini
Par trancher pour l’apparence ;
Auparavant, je n’avais jamais fait attention.

Cette housse, remise pour la première fois
Depuis qu’elle n’est plus là pour s’en occuper
S’est donc soudainement révélée problématique.

Sans souvenir, je me suis dit : quelle folie
On ne leur apprend strictement rien, aux garçons
Avec le résultat qu’à leurs vieux jours, ils sont largués.

Le côté d’une housse de couette est peut-être sans importance, et
Plus encore pour qui dort seul, mais quand on commence
À se faire des soucis, on n’en voit pas la fin.

28 Août 2023

dimanche 27 août 2023

Šumma

Crénom d’*Assur !
Je peux certes t’assurer
Que ce n’est pas de la frime si
Je te dis que l’akkadien en tant que
Sujet d’étude n’a pas plus de secrets pour moi
Que n’en a le père Labat quant au gribouillis cunéiforme :
En jeune homme qui se cherchait, je n’avais rien trouvé de mieux
Que de me pencher sur le saugrenu, le diable *Adru-malku sait pourquoi.

Les Assyriens, eux, avant de trancher, savaient qui interroger
Et ce n’était pas un corps céleste, mais une humble bête.
La chose était entendue : il est toujours préférable
D’en sacrifier une pour lire dans ses entrailles
Et mettre sa foi en son foie – sauf que
Depuis, de l’eau a coulé sous les
Ponts de l’Euphrate, voire
Du Tigre traficoté.

Moi, mes questions
Elles me pèsent donc lourd
Puisque j’ai des décisions à prendre.
Ami des bêtes, je dois me débrouiller en aveugle
Je ne peux pas exiger d’un animal qu’il se sacrifie pour moi
Afin de me renseigner par les tripes, et je ne vais certainement pas
L’abattre moi-même pour être mieux informé. Je reste alors seul avec mes
Choix multiples sur le dos, misérables alternatives qui me plombent la _____________________________________________conscience

Celle qui a d’innombrables circonstances à prendre en compte
Et ne connaît même pas sa propre situation.

Le beau regard concerné
D’un compagnon à quatre pattes
Ne me serait que d’un secours purement moral

Car en se fiant au seul instinct
La communion trinque.

Si j’ai eu ma compagne, elle était à deux pattes
Et de la race de celles qui marchent debout, et quand
Elle a dû se coucher pour ne plus se relever, la vie était finie.

Plus irremplaçable que toutes les nuits porteuses de conseil
Que toutes les égéries promettant monts et merveilles
Et que toutes les Muses du grand enfant museur
Elle était à la fois et l’Ishtar très-puissante
Et la plus confiante des créatures –
Le ciel constellé en soit loué
Et son tutélaire unique.

26 Août 2023


 

vendredi 25 août 2023

Deux sœurs dans le malheur

i.

La paresse tue dans l’œuf.
Même pas sûr qu’on puisse parler de paresse
C’est la pré-paresse.

Un œuf, ça se couve
Et il faut de la paresse pour couver
Lui donner de la chaleur, rester dessus sans bouger
Idéal pour des paresseux ;
Or, la paresse tue dans l’œuf.
Surcouvé, ma foi.

Fait trop chaud, fait trop froid
Fait trop beau, fait trop mauvais –
La paresse n’est point dépourvue de ressort
Elle trouve toujours ses justifications
Pour trouver, elle n’est jamais paresseuse
C’est plutôt l’après-paresse.

La paresse, c’est toujours
Soit avant soit après
Mais jamais au bon moment.


ii.

Au bon moment, c’est l’énergie.
Faut l’avoir, celle-là
Faut l’avoir conquise une fois
Puis jamais perdue
Faut qu’elle couve sous la cendre
Pour pouvoir la sortir le moment voulu.

Quand c’est trop tard, elle est de trop. Cette énergie
Ne sert à rien lorsque les circonstances ne s’y prêtent plus
C’est alors l’énergie de trop, et en même temps gaspillée.

L’énergie et l’occasion, faut donc les deux.
Trop tôt dans la vie, c’est l’occasion qui manque
Et trop tard, eh bien voilà, c’est l’énergie.
L’énergie seule est passive
Voire vaine et nocive, brasseuse d’air ;
On ne le sait pas, mais elle a du mal à créer des occasions.

Elle est en ce sens la digne sœur de la paresse
Ou plutôt pas vraiment
Car la paresse, elle, sait les créer, ses occasions.

La paresse, après tout, est encore plus active que l’énergie.
Si les deux sont sœurs, elles le sont dans le malheur.


23 Août 2023

  [Frau Holle. Otto Kubel]

jeudi 24 août 2023

Predator Fad

Parmi les grandes peurs d’une époque où tout doit s’acheter au prix juste et où toute acquisition non conforme à cette règle est considérée abusive, le voilà, le tout nouveau concept d’une prédation étendue à la conquête des corps.
Ce concept ayant fait le tour du monde civilisé, il n’y a plus, comme avant, la partie séduisante et la partie séduite dans l’acte de séduction, avec leur rapports de force complexes et leurs si charmantes ambivalences, mais pour peu que la société désapprouve, et elle le fait très souvent, uniquement prédateur et victime. La prédation séductrice étant par nature consensuelle, la prise de conscience de la dénommée victime exige parfois des années de lavage de cerveau avant de se reconnaître en tant que telle, mais qu’importe ! On érige alors la notion de minorité en loi intransgressible, minorité qui, du reste, n’a plus de limite dans le temps. L’éternel Don Juan devient l’éternel Prédateur, l’ancien bourreau des cœurs se modernise en prédateur de crédules, le coureur de jupons ou de dot, le satyre, le grand loup, le périlleux bellâtre à la langue sucrée – rien que des prédateurs, la frayeur millénaire métamorphosant toute personne tant soit peu dissipée, ou conséquente, en prédatrice de supposés monogames. Avec l’interdiction de persuader à force d’éloquence, en ne transigeant plus sur la soi-disant concordance des deux corps – même âge, même classe sociale, même IMC, même désir d’exclusivité etc. – la prédation est devenue l’aîné de nos soucis. Ou l’aînée, je ne sais pas, question de genre. Au lieu d’accompagner le développement physico-psychique de nos chères têtes blondes, chaperons rouges, oies blanches d’élevage et autres becs-jaunes vergondés de façon éclairée, ce qui les préserverait facilement de se faire avoir comme des bleus, on déniche partout des prédateurs chatoyants aux mille ruses, l’ordinateur non surveillé devenant l’outil par excellence des forces obscures qui, tapies dans la capiteuse pénombre d’une chambre intime, ne peuvent être que majeures, face à l’éternelle minorité d’âme du péquenot à chair plus ou moins fraîche. Grâce à Dieu, il arrive encore, paraît-il, que quelque fragile créature de rêve, ayant marre de se morfondre pour rien, tombe clandestinement sur le prédateur de son cœur et qu’elle se love en toute innocence dans ses bras trop velus sans que la presse s’en aperçoive.


        La voix de la proie :

Par malheur un peu réservé de caractère
J’ai la chance de ne pouvoir être que proie –
Proie à ceci, proie à cela, proie à tout faire...
Par bonheur, des fois on s’est acharné sur moi.

Être proie est pratique en ce monde cruel :
Il suffit de céder, on n’a rien d’autre à faire ;
C’est toujours le vilain qui traque, en sensuel
Son chenapan qui fait semblant d’être impubère.

On n’a jamais demandé si j’étais d’accord
Avant de bien vouloir essayer de m’avoir.
Si on l’avait fait, je serais sûrement mort
Dans mon plumard esseulé avant de savoir.

J’ai vieilli, ma chair s’est bigrement faisandée
À tel point que je ne fais plus gibier de choix.
J’ai forcément cessé de trop me demander
Si je pouvais encore espérer être proie.

L’âge a aussi son avantage, il me rapproche
Au pas de charge des trucs dits sempiternels :
Pour ceux à tendance passive, aucun reproche
Ne tient dans les embruns devenus fraternels.

Celui qui ne veut plus croire aux forces célestes
Est par essence bien moins commode à séduire
Mais attends-toi à ce que, si tu le molestes
Ce bougre impie n’y trouve pas plus à redire.


        Le silence du prédateur :

Les agneaux bêlent, je n’ai pas grand-chose à dire ;
C’est en mystérieux que je daigne séduire.


22 Août 2023

[Ganymède (lune)]

mercredi 23 août 2023

Märchen

1. Dichtung

Ich kenne einen, der noch als Erwachsener, anstatt das Fehlerhafte durchzustreichen, es wie in der Grundschule einklammert. Diese Kindlichkeit nimmt mich nicht nur sehr für ihnen ein, sondern er kommt dadurch auch der Wahrheit näher, bei der es nur ein Einklammern, aber kein Durchstreichen gibt.

Wenn ich andrer Märchen lese
Glaube ich sie unumwunden
Nicht jedoch, was ich mit eignem
Stift hab in die Welt gebracht.

Wär selbst, was dort steht, gewesen
Und, was ich erdacht, erfunden
Können doch nur Blinde leugnen
Dass die Wahrheit Fehler macht.

Früheres ist nach seinem Wesen
Beides: falsch und echt; entschwunden
Kann nichts mehr, was war, bezeugen
Und auch nichts, was ausgedacht.

Wirklichkeiten, Fabelwesen
Beichtmomente, Märchenstunden
Redenschwingen, Zweifelschweigen
Sind gemacht aus Tag und Nacht.
 


 
 
 
 
 
 
 
1. Wahrheit

Ich habe noch die Märchenbücher der vorherigen Generationen geerbt, die nicht nur aus grusligen Zeiten stammten, sondern namentlich das Gruseln lehrten. Kein Wunder, dass den Kindern, die man sicherlich abhärten musste fürs Leben, in jenen Zeiten Gruselgeschichten vorgelesen wurden, und derart gruselig illustrierte. Märchen sind keine Märchen, sondern Spiegel ihrer Epoche. Ich habe diese Bücher meinem Kind erspart und ihm dafür die viel heitereren der jüngeren Gegenwart gekauft. Man kann auch heiterer das Gruseln lehren, dachte ich, falls ein Kind das denn unbedingt lernen möchte. Im Gedächtnis geblieben sind mir aber die grusligen grusligen; meinem Kind, glaube ich, ist weniger im Gedächtnis geblieben von den heitereren grusligen. Dabei wuchsen wir beide in glücklicheren Tagen auf, aber ich eben sozusagen mit einem Gedächtnis, das sich, früh geübt im Erschrecken, die wahre Geschichte noch bildlich vorstellen kann.

Wer weiß schon, was sein muss im Leben
Was man kennen muss, und was nicht?
Man weiß nur, dass es vieles nicht geben
Sollte, und es gibt es in Massen.

Sollst du in kleinen Dosen erfahren
Wie geimpft, was das Leben verspricht
Oder dir deine Unschuld bewahren
Und auf Traumwandelei dich verlassen?

Es gibt unter den Lügen die wahren.
Wer es lernte, darf gerne auch schweben
Und der, dem das Schweben nicht liegt
Gern das Schlimmste ins Auge fassen.


20. August 2023
 
[Bechstein, Schönste Märchen, Ill. Hans Nolpa.
Von Kindeshand numerierte Ausgabe: Buch N° 15 meiner Mama]

mardi 22 août 2023

Robes et rites

Elle avait ses rites.
Par exemple cette robe de voyage
Qu’elle ne portait que lorsqu’elle partait.
Elle aurait pu la choisir pour son dernier voyage aussi
Mais elle voulait sa robe de mariage
En wax, faite main par une amie malienne
Plus jamais portée, mais gardée dans l’armoire
Et j’ai pensé depuis, en prévision.

C’était donc bien une robe traditionnelle
– Nul besoin d’être Africaine pour la porter –
Sans pourtant être une robe de mariage traditionnelle.
Normal, puisqu’elle n’était pas pour un mariage traditionnel
Mais pour ce qu’on appelle une simple formalité
Formalité quelque peu compliquée par une administration
Toujours révulsée par l’idée de conjoindre un vaurien
D’étranger à l’une de ses précieuses ressortissantes
Formalité à laquelle, grâce à son sens des rites
Elle avait réservé la robe de son choix.

Je n’ai aucun souvenir de ce que moi, j’ai porté :
On n’a pas pris de photos – pourquoi faire ?
Notre pacte indissoluble avait été scellé
Pratiquement à l’instant de notre rencontre –
Et je ne peux pas non plus savoir si, en se mariant
Elle songeait déjà à ce qu’elle mettrait pour le cercueil ;
Toujours est-il que cette robe, si discrète dans la penderie
Avait encore un rôle à jouer, le deuxième de sa vie
Rôle que j’ignorais jusqu’au moment venu
Parmi une foule d’autres choses.

19 Août 2023

vendredi 18 août 2023

Veuvages

Lieu.

Jolie comme une tombe
Fleurie comme une tombe.


Limites.

Des fleurs, puis des buissons, puis des arbres.
Et des arbres jusqu’où ? Les sentiments
Les plus profonds et les plus élevés
Ont les mêmes limites.


Rachée.

Celui qui a survécu à ceux qui l’ont aimé
Est comme une souche coupée
Qui a encore des rejets sur ses bords
Mais ne sera plus jamais arbre.
Du bois mort, perdu à la vie malgré ses pousses
Inutile souche devenue gênante.


Dérision.

Traîner ainsi
Cuisiner pour une personne
Mettre dignement un couvert, et non au moins deux
Faire une sorte de ménage rien que pour soi
Ce sont des actes ridicules
Car insignifiants.

Se sentir de trop prête à rire.


Drosophiles.

Des moucherons minuscules, se contentant de si peu –
De pelures, ne les entamant même pas.
Ému, je les laissais faire
Leur abandonnant même mes noyaux et tronçons.
Ils se mirent à pulluler.
Il fallut que je m’en débarrassasse
La pensée de leur raccourcir l’existence
D’un petit mois au grand maximum
M’étant d’un certain réconfort.


Ailleurs.

Et moi, où voudrais-je nicher, désormais ?

La lumière du soir inonde cette table
Elle vient de très loin et paraît toute proche
Plus proche que les autres, les lumières directes.
Elle l’est davantage : tamisée, toute douce
Elle me montre, la clarté éblouissante
Que les choses sur la table
Ne font qu’attendre.

Puis moi, debout devant elles, impatiemment
Déjà presque au-delà de ce monde.


Découpage.

En voyage, dans la voiture remplie de nous deux
Elle connaissait les numéros de tous les départements –
Une vraie Française : appris à l’école, en tablier, et jamais oublié.

Après la Haute-Garonne, pas la Basse mais le Gers
Et avant le Tarn-et-Garonne, rien que le Tarn
Comme avant le Lot-et-Garonne, Lot tout seul
Le pauvre, aussi seul que moi maintenant
Mais lui, il ne s’est pas retourné. Mémoire
De fleuve en fleuve, les fleuves parfois en cercle.
Moi Lot, moi Tarn, toi Garonne.
Haute Garonne.


17 Août 2023

mardi 15 août 2023

Perte

1. Son nounours

Paisiblement, le nounours.
C’est le sien.
Il a son âge.

S’il a un peu souffert
Je connais toute son histoire
Elle me l’a racontée
L’histoire de l’œil perdu puis remplacé par une perle.
Il s’en était contenté
Et elle aussi, cette fille incroyable
Si facilement heureuse
Qui ne demandait presque rien pour l’être
Presque rien, et a eu tout, et à la pelle
Tellement elle le méritait.
C’est comme ça, quand on est facilement heureux
On aura tout, c’est obligé
L’autre s’incline, il lui donne tout ce qu’il a
Même si c’est presque rien
Rien qu’une perle pour réparer.

Eh ben, ils sont paisibles, les nounours.
Attendent patiemment leur câlin ;
Dans ce cas, le sien, puisqu’il est le sien.
Il est comme moi maintenant, il l’attend en vain
Il n’aura droit qu’au mien pour remplacer
Pour s’en contenter
Après toute une vie avec l’œil en perle.

Toutefois, le fait de l’avoir connue avant moi
Lui donnera le préséance lors de son retour
Que, paisiblement, nous attendons tout de même.
À deux, c’est plus facile
Le temps passe plus vite.



 

 

 

 

2. Rêve

Une fois de plus, j’ai rêvé
D’avoir son bout de sein dans la bouche
On peut appeler ça un rêve érotique
Je ne sais pas.

Évidemment, mordiller un bout de sein
Ressemble fort à un geste érotique chez l’adulte
Mais c’était un rêve de perte
Puisque dans ce rêve, j’étais conscient que je rêvais
Ce qui est rare en rêve.

C’était donc d’emblée un rêve d’absence subie
Étant conscient qu’il fallait rêver pour pouvoir l’attraper
Elle toute entière ou seulement le bout de son sein, n’importe
Car même avant je ne pouvais jamais
L’engloutir en entier, ma belle, trop énorme comme morceau
Une proie au-dessus de mes moyens ; de guerre lasse
Je me contentais de bouts
Ce qu’il y avait d’incontestablement érotique
Disparaissant derrière l’impossibilité.

Le rêve d’un rêve donc.
Autrefois, ça finissait malgré tout dans les règles de l’art –
Faut jamais exagérer dans le symbolique –
Maintenant, c’est terminé.
En rêve, j’arrive encore à en attraper tel mamelon, mais c’est tout
Je n’essaie même plus de l’aspirer des pieds à la tête.
Ne parlons pas d’érotisme, parlons de résignation.


13 Août 2023

[Giampietrino, Cléopâtre. Détail]

vendredi 11 août 2023

Another Fourth Little Pig

No house of straw, nor sticks, nor bricks
No build for current weather –
One made of pens and paper and
Some ink to hold together:
Now, come ye wolves and huff and puff
And blow, for all your wit
Featherweight home will waft away
And little pig with it.

Pig knew it couldn’t spare the pack
To help get them off the ground
Pig and the place it needs too much
To not be elseward bound:
So light with paper wings around
That bear it through the vast
It equals those who hover free
Of burden and of past.

August 11, 2023

 

 

jeudi 10 août 2023

Salle d’attente

Salle d’attente, donc j’attends.
Je risque de m’ennuyer en attendant ;
Le reste du temps, je ne risque pas.
Telle une douleur qui n’existerait
Que par la conscience de la douleur, l’impatience
Est liée à l’obligation de patience. Pour y échapper
J’observe les gens.

Presque au fond de la salle
Une dame au physique ingrat, le turban serré et tout le reste
Bien trop large, et qui fait des mouvements de la bouche
Comme si elle n’approuvait pas
Mais qui désapprouve dans le vide
Et à mi-chemin entre nous, empiétant sur le passage
Un monsieur en chaise roulante qui tousse du cou
Dans un grand mouchoir jaunâtre. Il doit y avoir un trou.
Une jeune femme, à coup sûr sa fille, l’accompagne
Et il ne doit pas seulement trousser mais aussi lui parler
Du trou du cou, sauf que pour l’instant tousser lui suffit.
Les autres personnes, je les ai déjà oubliées.

Sur cette foutue planète
Si l’on n’a rien de spécial à proposer, on est vite oublié.
Le bonheur s’oublie, pas le malheur.
Heureux les malheureux, ils me divertissent lors de l’attente
Qui, elle, oblige au divertissement
Qui, lui, vit du malheur, il me semble.
Je me gronde
En espérant qu’on ne m’a pas vu
Et que si l’on m’a vu, on m’a déjà oublié
Je compte vivement sur ma chance
D’être ou invisible
Ou vite oublié.

9 Août 2023

mardi 8 août 2023

Regenschirmschoner

Unser Regenschirmschoner Marke Dry Umbrella ist eine wasserfeste Haut, die Sie über den aufgespannten Schirm spannen können, damit ihr wertvoller Klimaschutz auch in strömendem Regen nicht nass wird. Besonders geeignet ist er für Schirme aus reiner Schurwolle. Es gibt ihn in pechschwarz, mausgrau, dunkelblau, burgunderrot, durchsichtig, sowie naturfarben, und in Damen-, Herren- und Knirpsgröße. Er ist auch als eleganter Halbschoner erhältlich (Foto).

Ich habe diesem beschissenen Sommer
Auch einen meiner Schirme opfern müssen:
Beim Öffnen fügte er sich mir noch
Doch als ihn schließen wollte
Entgegnete mir plötzlich entschlossener Widerstand
Und als ich den gebrochen hatte
War auch der Schirm dahin.
Man muss aufpassen beim Brechen entschiedenen Widerstands
Es kann fatale Folge haben.

Der Schirm muss sich in geöffnetem Zustand
Wohler gefühlt haben als in geschlossenem –
Vermutlich, weil er sich dann nützlicher vorkam.
Es ist aber auch ganz gut möglich
Dass er mir schlicht eine Lektion erteilen wollte
Was das ständige Öffnen und Schließen angeht
(„Du solltest besser deine Meinung nicht laufend ändern!“)
Und dabei leider meinen Eigensinn unterschätzte;
Er bezahlte es mit seinem Leben.

Ein sinnloser Tod, denn ich besitze noch andere Schirme
Die nun wissen, wie weit man gehen darf als abhängiger Regenschutz.
Wer schützen will, darf nicht bestimmen wollen
Und wer das eine und das andere möchte, lebt gefährlich
Der Mensch ist nämlich kein ewiges Kind –
Sogar der Himmel hat diese Erfahrung machen müssen:
Regnen darf er zwar noch
Sich in unsere Entscheidungen aber nicht mehr einmischen
Er darf uns seine fürsorglichen Engel senden, doch damit hat es sich.

6. August 2023


 

lundi 7 août 2023

Tomates et périodes

      Cet été avec ses longues périodes pluvieuses
M’a permis de constater sans faute
Que les tomates du balcon cueillies sous le soleil
Étaient bien plus goûteuses que les autres.
      Celles du commerce doivent sans exception
Se faire ramasser les jours de pluie
      Ce qui laisse penser
Que le soleil est réservé à celles des particuliers.

      Après tout, ce n’est que justice
Que le beau temps accessoire soit l’apanage de ceux
Qui font pousser leurs propres tomates
Comme s’il s’agissait de leur propres idées
      Sans faire attention au commerce
Et se les réservent, diantre, pour eux-mêmes ;
      L’ensoleillement général, serres industrielles incluses
Serait du gâchis.

     C’est parce que l’âge des lumières
Précède l’ère industrielle, il la devance sans y participer
Et les tomates ou idées privées
Relèvent du premier
      Les lieux communs en revanche, aisément marchandables
De la seconde.

6 Août 2023

 


jeudi 3 août 2023

Le colosse et son molosse

Le soir, je vois souvent ce vrai balèze
Promener dignement un chien à dames
Et manquant parfois un peu de finesse
Je pense qu’ils ne vont pas bien ensemble.

Un œil mieux accoutumé aux contrastes
Me dirait : le gaillard ressemble au chien
Qu’il gère en laisse avec délicatesse
Et toutounet, têtu, est au lourdaud

Ce que nous sommes tous à notre image
Image butée et pourtant fidèle
Fidèle tel chienchien à son gros maître
Attaché, lui, sans honte à son chouchou.

Tu as beau le trouver mal fait, ce monde
Avec ses rapports de force incongrus
Mais tant qu’il y a des patapoufs ventrus
Aux pékinois enrubannés, tout baigne.


Der Koloss und sein Molosser

Recht häufig seh ich abends diesen Dicken
Wie der ein Damenhündchen ausführt, und
Ich denke mir, die passen nicht zusammen
Solch ein Koloss und so ein zarter Hund.

Wäre mein Auge allerdings geschulter
Dann sähe ich: Sie sind ein schönes Pärchen
Der Dickwanst, delikat die Leine leitend
Und das ein wenig sture Teddybärchen

Sie sind wie wir und unser Bild im Leben
Bei aller Bockigkeit einander treulich
Wie dieses Hündchen seinem Herrn ergeben
Und, schnöder Welt zum Trotz, der seinem Schätzchen.

Du kannst im Leben vieles kritisieren
Nicht aber eines Spiegels Ebenbild;
Drehn so welche mit Schleifchenpekinesen
Die Runde, ist doch alles halb so wild.


2. August 2023

lundi 31 juillet 2023

On Something Soothing Taught in Classes

                 “Feel like a child / Who comes on a scene / Of adult reconciling, /
                And can understand nothing / But the unusual laughter, /
                And starts to be happy.”
                                                                                Larkin, Coming


Numb to adult secrets, like this child in fact
While Time, and Space, and Nature play their reasons
Beyond one’s grasp, you, sensitive to seasons
Have moods depend on how these grown-ups act.

Albeit a small life, guiltless and bare
No “Nature” can embrace its quiet scope
Larger than nursery (“Time”, “Space”), you elope
Toward climes the principled must fail to share.

Since life knows no beyond in time or space
Life’s present, neither after nor before
Since, with her fluffs and feathers quivering

Immutable nature is a fickle thing
That freezes at each moment of embrace
No bird can trill what spring’s eventually for.

July 30, 2023

lundi 24 juillet 2023

Bruits parasites

Quelque part entre le silence instruit des choses
Et l’insouciant bourdonnement des hommes, moi
Tel ce vieux tronc qui semble muet au fond du bois :

Quand tu le trouves dans sa solitude et poses
L’oreille, tu entends au loin les xylophages
On dirait que ce tronc se chuchotait, ainsi

Perçu de près, mon constant petit bavardage
Interne me paraît mon propre chuchotis

Alors qu’en vérité c’est un bruit parasite
Dû aux bestioles en dedans qui me visitent.

24 Juillet 2023

samedi 22 juillet 2023

Faith, Hopeless

                          “Under fourteen, I sent in six words
                           My Chief Ambition to the Editor”
                                                        Larkin, Success Story
 
Faith feigns to thin out, it’s indeed like hair
Or nails you trim, it never stops to grow
Its holy shrouds may be as fake a show
As true a story, faith means to forswear

What by no means you’ve been conceived to pick
With targets moving but bolts undisturbed
To never hit or miss – you choose the verb!
Faith is the only way to do this trick.

Be it cold accomplishment of boyish dreams
Or the strained fruit of life’s unicity
Be truth the very synonym of sham

Victim or gainer, be I what I am –
Call it a curse or just one’s verity:
Faith will remain as hopeless as it seems.

July 21, 2023

[Faith, personified]

dimanche 16 juillet 2023

Divine Identities

I had some god: reliable and quite
A beard, so I believed without objecting
To his mumbles yet belied by his neglecting
As he refused to show and use his might.

The other one I had: Not words but deeds!
He worked them miracles, they just fell flat:
What boots a bunny to hop out of a hat?
Skillful Magician also spurned my needs.

Let there be more, I sure no longer care.
Reasons and rabbits match, it’s one same game.
If that’s all there’s to it, who else to blame?
Morals are our equals, to be fair.

 July 15, 2023

 









vendredi 14 juillet 2023

Narcissus Poeticus

I think of myself now more as an anonymous person
Than I did before, since I knew me too intimately
Convinced that – anonymous being just another version
Of nameless – by Jove, this incognito couldn’t mean me.

Long self-love has taught me: anonymous is the one word
That certainly suits best to what I especially am.
To hell with the world’s unanonymous bonus, goddam
When even the starry sky’s godheads’ ID is all blurred.

July 13, 2023

 [Narcissi poetici]

mardi 11 juillet 2023

Dernières photos

Je ne vois que maintenant, sur les
Dernières photos que j’ai faites de toi
Combien la maladie t’avait transformée.
Au moment de la prise, je ne le voyais pas :
Tu étais encore toute là, la présence inchangée
La voix, toute pareille, à mes yeux
Tu étais restée celle de toujours
Certes amaigrie et avec un sourire
Un petit peu courageux, mais à peine ;
Puis en matière de courage tu t’y connaissais.
Alors, somme toute, rien de spécial
Juste ma chérie de toujours.

Par conséquent, je n’ai pas vraiment compris
La question du jeune homme qui t’a lavée après ta mort
– Derniers soins auxquels j’ai assisté comme à tout le reste
Car quand je t’ai connue, je m’étais dit : celle-là, je ne la quitte plus –
Question portant sur une éventuelle différence d’âge.

Trois ans et presque sept mois se sont écoulés depuis :
Et c’est pour la première fois que j’ai pu les regarder
Et ce n’est que maintenant que je me rends compte
Que la maladie t’avait vieillie de vingt ans en quelques semaines
Je ne l’avais pas vu, je ne le vois que maintenant
En regardant ces photos
Et je ne vois que maintenant
Que le seul regard possible est celui
Des yeux de la vie, à travers les souvenirs
Que ce n’est que la mémoire qui donne à voir –
Sinon, on dévisage et on ne voit rien.
L’œil objectif, lui, est aveugle.

Ce que j’ai vu maintenant, je vais l’oublier aussitôt
En fait, je l’ai déjà oublié, ma chérie
Mon amoureuse de toujours
Dont j’attends le retour
Dans ta gloire.

Nous, au-delà de la mort
Nous tout seuls, rien d’autre
Mais au-delà de la mort, comme si.

9 Juillet 2023

dimanche 9 juillet 2023

Du ciel peuplé

i.
Je n’arrive point à me sortir de la tête
Que mes morts me regardent.
Il m’est bien plus facile de supposer
Que Dieu n’existe pas
Que de me convaincre que ces morts
Ne sont plus là :
Au contraire des divinités, invisibles
Eux, du moins, je les ai vus de mes propres yeux.

Je me fais donc à l’idée
Que dans un ciel sans Dieu
Il y a foule d’âmes chéries
Hélas abandonnées à elles-mêmes
Alors que nous ici-bas jouissons du privilège
D’avoir nos morts pour nous surveiller.


ii.

C’est l’utilité qui fait l’ange, et
Je vois mal ce qu’il pourrait faire dans son néant.
Il doit chercher de quoi s’occuper
Mais ce n’est que sur terre qu’il est nécessaire.

Si certains anges pincent de la harpe
C’est par pur désœuvrement.
Plus ils exultent, plus ils sont à plaindre
Leurs alléluias désespérés sont d’une infinie tristesse.

Si j’étais ange au ciel
Et donc là où ça ne sert à rien
Je me suiciderais.


iii.

Parfois, le ciel moutonne, parsemé de petits nuages ;
Parfois, ces gentils nuages deviennent bien gros ;
Parfois, le ciel en est complètement couvert
Et parfois, en revanche, il est dégagé.
Il en va de même avec mes avis.

Parfois, je le vois peuplé, ce ciel
Même incroyablement peuplé
Voire lourdement surpeuplé
Et parfois, je le vois radicalement vide.
Quand je le vois vide, tout à fait vide, c’est que
Le soleil brille.

C’est alors une belle journée
Une journée légère, sans souci
Une journée sans ciel en quelque sorte.


iv.

Avoir le ciel comme perspective
Est assurément une perspective de mauvais temps.
Si ce n’est pas carrément la tornade
Il pleut à verse
Quand semblable lubie te traverse l’esprit.
Lorsque le ciel te sourit
Tu n’en as cure
Te vautrant dans la boue des beaux jours
La liesse, coupable, arrimée à l’oubli.


v.

Que ferions-nous sans les cochons et compagnie ?
Cela nous condamnerait au végétarisme.
Loin de nous cette idée, nous les tuons en masse.
Vont-ils au ciel, les cochons morts
Eux qui, de leur vivant, n’ont connu rien de mieux
Que les grossiers plaisirs de la terre
Et qui, après, ont été découpés par d’autres rustres ?
C’est une question que je ne me pose pas.

Du coup, je me sens, moi aussi, assez cochon
Ne connaissant que les grossiers plaisirs de la terre
Et je me touche le groin, typiquement humide :
Aurai-je droit au ciel des humains ?


vi.

Si le ciel accueille tout le monde
Et je suis persuadé qu’il ne trie pas
Puisqu’il n’y a personne pour le faire
C’est comme s’il n’accueillait personne.

Il est alors ouvert
Et ce qui est ouvert est vide à sa façon :
Illimité, sans fond, tout s’y perd et disparaît.
Il est alors comme une jungle grouillante de vie
Camouflée, indétectable
Inabordable.


vii.

L’inabordabilité du ciel est sa garantie.
Inabordabilité peut-être habitée d’aucun doute
Mais tout de même habitée.
Le revoilà, le doute.


7 Juillet 2023

 

[Ciel véritable et conception terrestre]