mercredi 28 février 2018

Far West

Une fantaisie qui nous rappelle les fantaisies de l’enfance
Et, en même temps, leur atmosphère crépusculaire.
Pourtant, il y en a encore, du chemin a faire.
Trappeur ou Indien, chevaux et buffles
Tout ça, du règne du fantastique
Tout ça, d’abord fantasmé.

Aucune idée
S’il dormira à la belle étoile.
En tout cas, je le vois mal rentrer ce soir.
La montagne bleue et rose, nous la connaissons du cinéma.
Elle n’est pas moins immuable que l’avant-plan
Si peu évident au-delà du fantaisiste.

Peut-être suis-je, là aussi, perdu dans l’imaginaire, mais je pense
Que plus on se morfond chez soi en rase campagne
Plus on rêve des prairies américaines.
Or, notre représentation du vaste
N’est pas très grande, et c’est là tout son charme.
C’est que l’immensité correspond avant tout au plus petit et
___________________________________modeste en nous.

24 Février 2018  [Tableau VII]





mardi 27 février 2018

Reconnaissance immédiate

Du beau pin, et surtout, derrière, la Tour Magne, toute
En blancheur contre un ciel blanc.

Le rapport au monument peut être multiple
Et aussi très simple, fait de rien que de chair et de proximité.

Il y a tellement peu de différence entre tour et ciel, cela
Ressemble à l’angoisse qui – blanche sur fond blanc – me taraude
________________________________________maintenant.

Mais devant, il y a aussi le grand vert de l’espoir.
Un peu tordu tout de même.

24 Février 2018  [Tableau VI]



lundi 26 février 2018

De mauvais augure

Forêt bien sombre
Faite en l’an quarante et un
Par quelqu’un qui a dû cesser d’être aux anges.
Plus très content, mais exerçant son boulot honnêtement.

L’aquarelliste semble inquiet
De ce qui se trame par les airs, ô Walkyrie
Et pourtant, connaissant ses opinions de l’époque
Je peux vous assurer qu’il n’aurait jamais cru
Que cette gloire wagnérienne finirait
Logiquement comme ça.

En quarante et un, même pour lui le sort était scellé ; la preuve :
Un ciel d’orage avec deux sombres oiseaux. Oui, on peut
Être un sombre idiot quand on est artiste peintre ;
Il y a toujours la possibilité de se racheter
En dépeignant la forêt telle quelle.

23 Février 2018  [Tableau V]


dimanche 25 février 2018

Ce même jour

Ça, c’est l’église dite du château
De la ville où j’ai grandi.

Auparavant, la ville
A presque intégralement disparu ;
L’église a été épargnée et je l’ai donc connue ainsi.

Mais là, elle est peinte avant
Au milieu de ce qui existait encore.

En fait, ce n’est pas vrai. Elle aussi a été touchée
Faisant juste partie des quelques ruines
Qui ont pu être reconstruites.

Reconstruite à l’identique, si tu veux
Comme si cela existait.

Ce n’est pas un grand tableau, c’est le
Motif qui compte, motif un tantinet compliqué :
Bâtisse historique avant sa transformation en témoignage.

On a pu grandir dans ses parages
Et souhaiter l’imiter.

23 Février 2018  [Tableau IV]




samedi 24 février 2018

Nature morte

Ces citrons sont de la main d’un ami.
Ce ne sont nullement des agrumes anonymes.
Puis, ils étaient chez ma mère.

Après sa mort, je les ai récupérés
J’en ai hérité en quelque sorte bien que c’était
Moi-même qui lui en avais fait cadeau.

Quand je les regarde, j’ai la preuve
Que ma mère est partie, et
Pas la peine de m’y habituer, je m’en irai aussi.

Les citrons, eux, seront encore là, je suppose.
On dirait des citrons, quoi ; en fait
C’est autre chose.

Si la nature est morte
Elle a vocation de survivre
À ceux qui ne sont vivants que par nature.

23 Février 2018  [Tableau III]



vendredi 23 février 2018

Falaises

Et puisque nous y sommes
Il y a aussi l’autre chef d’œuvre
Celui dont on cherche encore le cadre.
Vendu quasiment à l’œil, mais vendu sans.

Ce sont bien des falaises et, vous avez raison
En pleine nature, un si majestueux paysage n’en a
Sûrement pas besoin, étant lui-même le meilleur cadre
– D’une de nos satanées disputes de vacances, par exemple ;

Seulement, depuis un bout de temps on est rentrés
Plus du tout du côté d’Étretat, on jouit de la plus belle
Concorde au foyer, et dès lors la craie l’exige, son cadre
Tout à fait introuvable jusqu’à présent.

Si, si, certes, j’en ai proposés, mais pas une
De mes suggestions de circonstance ne leur allait
À nos falaises à deux balles, si blanches, nues et démunies
Et pas seulement face au spectacle d’une mer tant de fois
______________________________________déchaînée.

Si je n’arrive pas à leur dénicher ce quelque chose
Apte à structurer le tout, couple apaisé inclus
Sans doute, elles finiront par s’écrouler
Comme leurs imposants modèles.

22 Février 2018  [Tableau II]







jeudi 22 février 2018

L’éclat

On a acheté un petit tableau.
Je ne l’avais pas bien vu dans la vitrine
Il y avait trop de reflets, ou d’ombre ou de soleil
Et surtout, je me suis posé la question de la pertinence
Mais ma chance m’a convaincu et nous sommes donc entrés.

Le brocanteur l’a décroché, en annonçant
D’emblée le prix, agréable surprise.
Seulement là, le tableau ne m’a plus tellement plu
Et on n’allait quand même pas l’acheter juste
Parce qu’on pouvait se le permettre.

On a remercié le gars
On est sortis et on a cogité ensemble
Puis on est revenus d’un pas leste pour le prendre
Tout en marchandant encore un peu
Pour la paix de l’âme.

Depuis qu’il est accroché dans la chambre
Ce tableau m’enchante chaque matin davantage.
Et puisqu’il s’est imposé l’idée
Que le petit personnage esquissé sous les arbres
Est penché sur la malle d’un vélo de facteur
Il a désormais un titre, « La postière ».

Il faut parfois se décider à l’aveuglette
Tout autant qu’il faut savoir tirer un trait, au besoin.
Ainsi, j’ai pris la décision
De renoncer à contacter ces très anciens amis
Ceux de quarante ans qui ne m’appellent plus d’eux-mêmes –
Quelle importance, la vie passe.

Un tableau doit avoir trouvé sa place, mieux
Vaut le garder sous les yeux, pour en juger
De bonne humeur ou de mauvaise
À la meilleure des lumières et quand la nuit tombe ;
Or, les amis qu’on n’a plus vus depuis des lustres
Ont perdu leur éclat en toute circonstance.

21 Février 2018  [Tableau I]




samedi 17 février 2018

For the Ride

[Autour de moi, du paysage, rien que du paysage, enneigé, inconnu, avec quelques silhouettes plus ou moins debout dans la désolation. Sinon, paysage vide, et qui passe, mais par à-coups.
Je regarde autour de moi, et partout c’est le même décor jamais vu, imperceptiblement changeant, par à-coups donc, comme si j’étais dans un tortillard panoramique qui ne cesse de s’arrêter là où je n’ai pas intérêt de m’attarder.
En attendant, je m’interroge et la réponse tombe toute seule : ce doit être un voyage d’agrément, sans véritable but. Si cela se trouve, je me déplace ainsi pour le seul plaisir de mes yeux et non pas pour arriver quelque part, désolation étant destination. Belle perspective, en effet.]

Vu sur l’écran tel bijou supposé génial
Dont je ne pigeais rien, ce qui est peu courant
Car ce qu’on dit, je ne l’entends pas forcément
Mais ce qu’on montre, je le capte en général.

Je pense que le hic dans ce grand film était
Qu’il ressemblait un peu trop à la vie, la vraie.
C’est que quand tout est clair, le cinéaste sait
D’avance comment le truc va se terminer.

Là, il semblait aussi ignorant du futur
Que nous, on l’est dans la vie, et c’est malheureux
Puisque le public ne comprend alors pas mieux

Qu’il ne saisit sa propre vie imprévisible
Et ça, bien que l’art a comme avantage sur
La vie qu’en principe il doit être intelligible.

15 Février 2018

vendredi 16 février 2018

Trois traductions accessoires


Sarah Kirsch, Vie de chat

1. Neige

Comme devant nos yeux exercés
Tout se transforme, le village vole
Des siècles en arrière dans la neige
Il ne nous faut que quelques corneilles
Des saules têtards le long du chemin, des chiens démodés
Amour et fidélité ont cours, tu me tires
Par-dessus des fossés, portes mon petit
Fagot volé dans le soir
Une fumée vivante enveloppe les maisons.


2. Tempus hibernum


Quand le charme s’amenuise et le gel
Fait une pause, reprend ses forces, les prairies
S’étendent presque comme en été, la neige
Est un reste sale et sur les étangs brillants
Stagne l’eau de fonte, quand le village
Ouvre les portes des étables, les veaux nés dans l’année
Ont le droit de cavaler pendant une après-midi et ça sent partout
Le fumier, la vache et les meules de maïs
Quand les paysans coupent du bois dans la forêt, les piverts
Se rassemblent dans le jardin et le soleil prudent
Ratatiné et tout faible dans la brume éternelle
Pourtant ose s’avancer précocement dans l’éther
Modèle villageois d’un soleil simple et utile
Soleil dont on entendra encore parler
Quand les champs abandonnent leur distinction
Se montrent échevelés, existence ordinaire, effondrée
Les bouses de l’été passé apparaissent
Sur place, des ruines d’arbres
Vagabondent sous des nuages enragés
Les âmes noires des corneilles
Se hissent dans le vent, quand la vie
Est alors monotone, triste et vulgaire
Parmi des gens renfrognés et moroses, moi
Je suis heureuse en ma campagne banale.


3. Troisième portée


En essayant d’atteindre les barreaux de l’échelle
Les chatons tombent régulièrement
Du haut du grenier sur les dalles de l’étable.
Après la première chute fatale, le fermier balance
De la paille sous la trappe, les petits mistigris
Récupèrent la tétine du pionnier
Sur le ventre maternel, leur chances de survie
Ont augmenté de façon vertigineuse.


Trad 23 Janvier,11 et 13 Février 2018

jeudi 8 février 2018

On Flamboyancy and Grayness, Truth and History

Maintenant, on accorde du crédit même aux dires des femmes et des enfants ; avant, on s’en méfiait un peu. C’est un progrès sans pareil.
Depuis peu, femmes et enfants, eux aussi, ont éventuellement le droit de proférer des conneries. On le justifie avec la circonstance qu’il s’agit de femmes et d’enfants. Exactement comme on excuse, le cas échéant, les intenables âneries d’un poète pour peu qu’elles soient émises en une langue « tenable ». Au lieu de déplorer que l’étron, par surcroît, ait été garni de guirlandes. Mais l’emphase ne transforme jamais l’ineptie en vérité, bien au contraire : elle la rend plus pathétique encore.
Maintenant, femmes et enfants disposent donc du bonus idiot des poètes. Il faut tout accepter sans ciller parce que, semblerait-il, c’est une affaire de justice. N’oublions pas qu’il y avait autrefois le bonus aryen. Désormais, ce sont les femmes et les enfants qui en profitent. Progrès incommensurable, en effet.

Melomaniacs amongst the old Romans
Ended up with inventing amongst the gold fibulae
One peculiar device fastened into the foreskin
To prevent its withdrawal. Quid praestas?

This for sure was supposed to secure the two cherries:
To guarantee the longest possible vocal unbrokenness
And then the singer’s primitiae – his étrennes – but
In a pinch some birds are apt to hit the tup, see, betunicked.

So, this well-preserved cockerel wasn’t always unfondled
When that clasp was removed for a costly deflowering.
The premier jet is hardly ever a first draft:
Fibulae are often fabulae.

The real history’s a bag of tricks and wires
Much more sophisticated than some sods’ desires
No piece of shit in a silken stocking because
From up close it mightn’t be what it’s alleged that it was.

Coming far less regressive than the regressive allow
And perchance more progressive than the progressive avow
The past is the one thing you can’t control nor belie
You can only falsify.

[Man schenkt jetzt Glauben auch den Reden von Frauen und Kindern, früher tat man das nicht so sehr. Und es ist dies ein Fortschritt sondergleichen.
Neuerdings dürfen also auch Frauen und Kinder eventuell Unsinn verbreiten. Man rechtfertigt das damit, dass es ja Frauen und Kinder sind. Gerade so, wie man gegebenenfalls auch unhaltbaren Humbug entschuldigt, wenn er nur, wie einer sagte, in „haltbarer“ Sprache ausgedrückt ist – anstatt zu bedauern, dass die Scheiße auch noch mit Lametta verziert wurde. Dummes Zeug wird durch emphatischen Vortrag ja niemals richtiger, sondern der macht das Ganze nur noch schlimmer: pathetischer im Wortsinn des Englischen.
Also nun Frauen und Kinder mit dem Dichterbonus des Idioten. Man muss ihnen alles unbesehen abnehmen, weil angeblich eine Frage ausgleichender Gerechtigkeit. Vergessen wir nicht, dass es auch einmal einen Arierbonus gab. Nun profitieren also Frauen und Kinder davon. Welch unermesslicher Fortschritt in der Tat.]

8. Februar 2018

vendredi 2 février 2018

Tool


i.

On n’a pas pu l’élire, notre roi
Il nous a été imposé, le gros
Par les barbares, nous n’avons eu droit
Qu’à ses scrupules ou faux choix moraux.

Négociateur illégitime
Falstaff haï, pouvoir infime
A fait ce qu’il a pu pour nous
En tant que rien : rien, peu ou prou.

Mieux vaut encore acclamer son bourreau
Que subir tel avocaillon d’office
Mieux vaut le glaive à nu qu’en son fourreau
Mieux, l’immédiat néant du précipice.


ii.

Oh, l’homme fort est un homme désiré.
On m’a collé des responsabilités
Il a fallu que je les prenne
J’ai fait de mon mieux.

La vie n’est pas une affaire de justice
Elle est une histoire d’échecs ;
À l’instar des mots, indépendants des faits
Elle est faite d’instants sans liaison.

Instant après instant
Faites le mieux de vos échecs
Afin de la réussir en détail
Si je peux me permettre un conseil idiot.



1er Février 2018