dimanche 26 avril 2015
Trois épigrammes
i.
Un ancien cimetière.
Depuis longtemps on n’y enterre plus
Mais on n’a pas non plus déterré.
Portail rouillé, verrouillé, mais mur ci et là écroulé
La terre garde son butin
Alors que les preuves s’en vont.
Ce à quoi je pense encore
Mais que je n’aime plus
A disparu de la terre
Dans la terre
Tout est leurre
Comme ce caillou que j’y place en souvenir.
La paix est-elle donc revenue ?
La mauvaise herbe pousse-t-elle désormais à bon droit
Lorsque je me remémore le passé ?
Mon caillou si léger
Est d’origine volcanique
Pesant encore sur la tombe
Qui s’enfonce.
Où serai-je, moi
Quand elle aura disparu tout à fait ?
ii.
Ah, les jolis fruits peints
Frais et appétissants
Seulement sans chair, faits pour l’œil
Sur le fond de la vieille coupe
Dont on a mangé les fruits –
De ceux-là, ils ne sont point trace, ni souvenir ;
Ils y étaient avant
Ils y seront après
Et ne disparaîtront qu’avec la coupe même.
Y ont-ils été mis pour servir d’appât
Tel le canard de bois ancré dans la mare
Ou sont-ils des matrices ?
Je n’en sais rien, mais je constate
Qu’une fois les fruits consommés
Leur image, inaltérable, se révèle.
Oui, je sais où se trouve la mémoire
Sans savoir où se loge l’oubli
Qui pourtant n’est pas rien et a, lui aussi, sa vie
Dans le creux d’un vieux crâne
Contenant des icônes
À jamais fraîches et séduisantes.
iii.
En fouillant dans un tiroir, je tombe
Sur un tas de lettres dans un étui en cellophane.
Je ne les rouvre pas, je me souviens et cela me suffit ;
Une fois de plus, je suis allé à ta rencontre.
Nouveauté, dépends-tu du nombre de fois
Fraîcheur, des attentes ?
Le travail de mémoire
S’accomplit hors de moi
Mais pas loin de mes yeux.
Quand elle m’apporte un album, je feuillette
Distrait, ailleurs
Ce n’est pas le moment ; et pourtant.
Quand elle me montre la maison qui a changé de maître
Sans y croire, je la suis, de pièce en pièce
Et si je ne reconnais plus rien, je m’y promène.
Ressentir un plaisir au même instant
L’un et l’autre, en se touchant –
Voilà ce qu’elle propose, la mémoire :
Hors de l’un, hors de l’autre
Mais pas loin de nos yeux
Qui, bien que préoccupés par autre chose, participent.
26 Avril 2015
samedi 18 avril 2015
Von der Nützlichkeit des Beschreibens
1. Schnürsenkelbinden
Spätestens seit der Einschulung
Aber vermutlich schon viel früher
Wusste ich, wie man Schnürsenkel bindet.
Jedenfalls seit mehr als einem halben Jahrhundert kann ich das
Aber nach wie vor bin ich nicht in der Lage
Mir kalt vorzustellen, was ich da genau mache
Geschweige denn fähig, diesen Vorgang zu beschreiben, kann
Ja noch nicht einmal mit Sicherheit sagen
Ob ich damit ein Schleiflein oder Schläuflein fabriziere.
Ich kann etwas, doch weiß anscheinend nicht, wie es vonstatten
_____________________________________________ geht
Weil ich es eben wie im Schlaf kann.
Ich weiß nicht
Ob mein Leben mein Schicksal ist
Oder was Leben oder Schicksal überhaupt sein könnte
Aber ich kann es offenbar
Ohne zu wissen, wie es geht
Seit über einem halben Jahrhundert
Und es wäre sehr dumm, mir vorzuwerfen
Dass ich es tatsächlich nicht beschreiben kann.
– Besonders viel ist es nicht, was du gelernt hast, wirst du sagen
Wenn du es noch nicht einmal auszuführen vermagst.
Und dein Leben sieht dann eben danach aus.
Ja, ich kann das wenige halt auch nur im Schlaf, und
Wenig Erlerntes war so nützlich wie das Schnürsenkelbinden –
Damit könntest du recht haben.
Und es hat schon auch recht, das arme Schicksal
Dass es so unnütz vor sich geht, und so unter
Verzicht auf meine Mitwisserschaft.
2. Aus dem Nähkästchen geplaudert
Ist nicht viel herumgekommen
Nur einmal kurz, und dann versehentlich.
Es gibt also nicht viel zu erzählen oder beschreiben.
Von oben kam dann der scheinbar liebende Magnet
Und zog die verschütteten Stecknadeln allesamt an.
Kleben nun an ihm und eine jede zeigt woanders hin
Köpfchen auch jeweils in die ihm passende Richtung;
Doch in der Welt kommt man so nicht herum.
Immerhin sind sie zahlreich, auf kleinstem Raum
Sieht es auch nicht so aus, quasi geordnet –
Wie es sich gehört für die Opfer eines
Der tatsächlich nicht liebt, sondern nur
Kalt anzieht nach seiner Magnetennatur
Und unter solchen Bedingungen festhält
Dass man einfach nicht mehr herumkommt.
Schwerkraft, schwarzes Loch, Geldprobleme
Und zufrieden wie eben ein Stecknädelchen
Das an so vielen anderen Stecknädelchen hängt.
De l'utilité de décrire
1. Faire des lacets
Au plus tard au moment de la scolarisation
Mais probablement bien avant
J’ai su comment faire des lacets.
Je le sais, donc, depuis plus d’un demi-siècle
Mais ne suis toujours pas en mesure
De m’imaginer à froid comment je m’y prends au juste
Sans parler de mon incapacité à le décrire, oui
Je ne peux même pas dire avec certitude
Si je fabrique alors des boucles ou plutôt un nœud.
Je sais faire et pourtant j’ignore comme cela se passe
– Rien que parce que je sais le faire sur le bout des doigts.
J’ignore
Si ma vie est mon destin
Et ce que vie ou destin pourraient bien être ;
Or, je sais faire, semblerait-il
Depuis plus d’un demi-siècle
Sans savoir comme cela se passe
Et il serait parfaitement stupide de me reprocher
Qu’en effet, je suis infichu d’en livrer la description.
– Tu n’as donc pas appris grand-chose, me diras-tu
Si tu n’es même pas fichu de le détailler.
Et ta vie se présente en conséquence.
Oui, ce peu, je ne le sais que sur le bout des doigts, et peu
De ce que j’ai appris était aussi utile que savoir faire des lacets –
En cela, tu pourrais bien avoir raison.
Et le pauvre destin, lui, a finalement aussi raison
De se passer de manière si inutile, et en
Se passant de ma complicité.
Au plus tard au moment de la scolarisation
Mais probablement bien avant
J’ai su comment faire des lacets.
Je le sais, donc, depuis plus d’un demi-siècle
Mais ne suis toujours pas en mesure
De m’imaginer à froid comment je m’y prends au juste
Sans parler de mon incapacité à le décrire, oui
Je ne peux même pas dire avec certitude
Si je fabrique alors des boucles ou plutôt un nœud.
Je sais faire et pourtant j’ignore comme cela se passe
– Rien que parce que je sais le faire sur le bout des doigts.
J’ignore
Si ma vie est mon destin
Et ce que vie ou destin pourraient bien être ;
Or, je sais faire, semblerait-il
Depuis plus d’un demi-siècle
Sans savoir comme cela se passe
Et il serait parfaitement stupide de me reprocher
Qu’en effet, je suis infichu d’en livrer la description.
– Tu n’as donc pas appris grand-chose, me diras-tu
Si tu n’es même pas fichu de le détailler.
Et ta vie se présente en conséquence.
Oui, ce peu, je ne le sais que sur le bout des doigts, et peu
De ce que j’ai appris était aussi utile que savoir faire des lacets –
En cela, tu pourrais bien avoir raison.
Et le pauvre destin, lui, a finalement aussi raison
De se passer de manière si inutile, et en
Se passant de ma complicité.
2. Tombée de la boîte de couture
N’a pas bourlingué beaucoup
Rien qu’une fois, et par mégarde.
A donc fort peu à raconter ou à décrire.
Puis est venu d’en haut l’aimant dit aimant
Pour les attirer, toutes ces épingles répandues.
Depuis, elles y collent, chacune montrant ailleurs
Leurs petites têtes aussi dans la direction préférée ;
Mais ce n’est pas comme ça qu’on roule sa bosse.
Pour le moins, c’est un grand nombre, ramassé sur un espace
Minuscule et, malgré l’apparence, quasiment ordonné –
Comme il convient pour les victimes de quelqu’un
Qui en réalité n’aime pas mais ne fait qu’attirer
Froidement obéissant à sa nature d’aimant
Retenant sous des conditions telles
Qu’on n’arrive plus à bouger.
Gravité, trou noir, problèmes de thune
Et content comme peut-être une petite épingle
Collée à tant d’autres petites épingles.
mardi 14 avril 2015
Mitgeschlepptes Wissen
Es ist zwar keine Rückkehr in die Vergangenheit, doch ich
Wandere mit diesem lieben kleinen Hund, den man mir
Ausgeliehen hat, durch diesen lieben kleinen Wald
Den man mir auch ausgeliehen hat, und wo
Neuer Frühling auszuschlagen beginnt
Und über all dem Beginnenden ein
Pechschwarzer Muezzin weit oben vom
Forchenminarett zum hellen Amsel-‘Asr anhält:
Schau an, welch alte Ergriffenheit in solchem Wäldchen
In dem seit über dreißig Jahren ich nicht mehr gewandert bin.
Zwar lange her, und doch gelingt es mir nicht
Mit neuen, fremden Augen zu sehen, mit den Augen
Beispielsweise des von Natur verblüfften Eingewanderten
Der ich geworden sein sollte; Wissen ist freilich zu verwurzelt
Und dieses Wäldchen muss immer bei mir gewesen sein, scheint es
Gleich der Muttersprache unnehmbar, herumgeschlepptes Wissen
Und ob nun Rückkehr oder nicht, alt oder neu: Allzu viel und
Doch zu wenig ist in der Zwischenzeit geschehen, und so
Will ich nur schnellstmöglich wieder weg, Himmel, ja
Bloß weg von hier – wie vor über dreißig Jahren.
13 Avril 2015
Wandere mit diesem lieben kleinen Hund, den man mir
Ausgeliehen hat, durch diesen lieben kleinen Wald
Den man mir auch ausgeliehen hat, und wo
Neuer Frühling auszuschlagen beginnt
Und über all dem Beginnenden ein
Pechschwarzer Muezzin weit oben vom
Forchenminarett zum hellen Amsel-‘Asr anhält:
Schau an, welch alte Ergriffenheit in solchem Wäldchen
In dem seit über dreißig Jahren ich nicht mehr gewandert bin.
Zwar lange her, und doch gelingt es mir nicht
Mit neuen, fremden Augen zu sehen, mit den Augen
Beispielsweise des von Natur verblüfften Eingewanderten
Der ich geworden sein sollte; Wissen ist freilich zu verwurzelt
Und dieses Wäldchen muss immer bei mir gewesen sein, scheint es
Gleich der Muttersprache unnehmbar, herumgeschlepptes Wissen
Und ob nun Rückkehr oder nicht, alt oder neu: Allzu viel und
Doch zu wenig ist in der Zwischenzeit geschehen, und so
Will ich nur schnellstmöglich wieder weg, Himmel, ja
Bloß weg von hier – wie vor über dreißig Jahren.
Un savoir trimballé
Bien qu’il ne s’agisse nullement d’un retour en arrière, je
Me promène avec ce cher petit chien qu’on m’a prêté
À travers cette chère petite forêt, également prêtée
Où un nouveau printemps se met à bourgeonner
Et parmi toutes ces prémices, du haut
D’un minaret conifère, un muezzin de jais
En appelle, enjoué, à la prière du merle : Dis
Donc, quelle vieille émotion dans un tel bosquet
Que depuis plus de trente ans je n’ai plus parcouru.
Bien longtemps, et pourtant je n’arrive pas
À voir avec des yeux neufs, ceux par exemple
De l’immigré, époustouflé par nature, que j’aurais
Dû devenir ; le savoir est bien trop enraciné, et cette
Petite forêt a dû rester avec moi depuis toujours, paraît-il
À l’instar de la langue maternelle imprenable, un savoir trimballé
Et qu’il s’agisse d’un retour ou pas, du vieux ou du neuf : trop
Et en même temps pas assez s’est passé entre-temps, et c’est
Pourquoi je n’ai que l’envie de me barrer, ciel, hors d’ici
Vite – exactement comme il y a plus de trente ans.
Me promène avec ce cher petit chien qu’on m’a prêté
À travers cette chère petite forêt, également prêtée
Où un nouveau printemps se met à bourgeonner
Et parmi toutes ces prémices, du haut
D’un minaret conifère, un muezzin de jais
En appelle, enjoué, à la prière du merle : Dis
Donc, quelle vieille émotion dans un tel bosquet
Que depuis plus de trente ans je n’ai plus parcouru.
Bien longtemps, et pourtant je n’arrive pas
À voir avec des yeux neufs, ceux par exemple
De l’immigré, époustouflé par nature, que j’aurais
Dû devenir ; le savoir est bien trop enraciné, et cette
Petite forêt a dû rester avec moi depuis toujours, paraît-il
À l’instar de la langue maternelle imprenable, un savoir trimballé
Et qu’il s’agisse d’un retour ou pas, du vieux ou du neuf : trop
Et en même temps pas assez s’est passé entre-temps, et c’est
Pourquoi je n’ai que l’envie de me barrer, ciel, hors d’ici
Vite – exactement comme il y a plus de trente ans.
13 Avril 2015
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