jeudi 15 septembre 2016

De la paix


i.

Elles se sont fâchées sur une question de politique. Comme ni l’une ni l’autre n’étaient en mesure de faire de leur point de vue la politique officielle du pays, elles se sont fâchées entre elles. Le gouvernement, lui, s’en fout de pareilles querelles, et c’est normal. Qui pourrait lui reprocher d’ignorer les opinions divergentes d’électrices qui se fâchent entre elles par impuissance ? Ce n’est pas la faute à la démocratie si le peuple, dans les ténèbres de son anonymat, aime se crêper le chignon. La paix civique est à ce prix.


ii.

L’été était encore là, presque en pleine force, et nous, comme des vieux, nous reposions sur un banc, un peu à l’écart, dans un recoin ombragé. La journée était particulièrement paisible, aussi parce que nous ne nous étions pas disputés depuis au moins vingt-quatre heures. Placide, je m’abandonnais à mes yeux qui divaguaient et finirent par découvrir, en dessous de la broussaille, de très petits fruits rouges qui, à les fixer de plus près, s’avéraient être des fraises des bois. C’était inattendu, cela faisait longtemps que je n’avais plus vu de telles fraises, puis je me suis dit qu’on était dans un parc tout de même et qu’elles n’avaient peut-être pas poussé toutes seules mais que, pour aussi discrètes qu’elles fussent, on les avait plantées à l’instar du reste, que c’étaient donc les fruits d’un effort et d’une volonté, comme le fait qu’on ne s’était pas engueulés dernièrement n’était pas non plus dû à notre nature intrinsèque mais également à un effort et à une volonté, bien que sur le moment cet état de choses nous semblât naturel. J’ai préféré laisser les petites fraises là où je les avais trouvées en me disant qu’il ne faut pas en abuser quand une journée est si calme que la paix a quasiment l’air d’une évidence.


iii.

La paix dont on jouit, ce n’est pas la paix tout court. De la paix tout court, nous ne savons pas grand-chose. Nous ignorons même si elle existe. La paix dont nous jouissons, par contre, nous est connue pour peu que nous en jouissions consciemment. Je ne sais pas si la paix dont on jouit saurait être universelle, je sais seulement qu’il ne faut jamais trop lui demander – elle se lasse très vite, et au moindre petit questionnement, elle est en ce sens comme une adolescente à la maison – et lui demander l’universalité est, certes, beaucoup demander. Mais à ceux qui ne lui demandent pas grand-chose, elle se montre souvent généreuse, avec son rire facile et un peu bébête, sa belle peau fraîche et ses manières gaiement désordonnées.


13 Septembre 2016

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