samedi 18 juin 2022

L’or des pagodes

i.

Ta mort ne m’a pas coupé la parole, elle l’a accaparée.
Plus aucun autre sujet
Que celui consigné pour celle qui ne le lira plus.

Vivante, tu étais ma lectrice
Morte, tu le restes.
Tu restes la destinatrice de mes paroles, rien n’a changé.

Narcissiquement, je te vois par rapport à moi
Mais amoureusement, je te vois par rapport à toi-même
Et aujourd’hui plus que jamais, la mort t’ayant rendue entièrement ___________________________________________à toi.

Je t’observais du coin de l’œil, ma lectrice, guettant le petit sourire
Et l’entr’apercevant, en cachette
Je savais que j’avais réussi quelque chose.

En fait, égoïstement, je pense à ce sourire qui me manque
Lorsque je dis que tu me manques
Petit sourire immense, tout.

Toi toute seule, mais avec un peu de moi –
Comme si le texte avait été retranscrit de ta main
Devenant ainsi le nôtre.


ii.


J’ai le plus grand mal à jeter le moindre bout de papier
Sur lequel tu avais gribouillé quelque chose
Ne fût-ce qu’une liste de courses.
C’est l’écriture qui est devenue sacrée.

On est là au début même des saintes écritures.
On s’en fout, n’importe quoi, du récit sans intérêt :
C’est la main traceuse qui compte
C’est elle qui rend canonique.

Je ne les lisse surtout pas
Ces feuilles pliées et chiffonnées.
Telles quelles, je les mets dans un écrin
Et l’écrin, je l’entrepose dans ma gueniza personnelle.


iii.

Si je souhaite
Que tu reviennes vers moi
Que tu sois de nouveau avec moi
Je ne souhaite certainement pas l’impossible.
Depuis quand le monde obéirait-il à un ordre rationnel ?
Alors, un miracle de plus ou de moins...

Les sortilèges décident ; sinon pas d’explication.
Nous, on n’a jamais quitté l’âge mythique
L’âge homérique, héroïque, fatidique
Baigné de l’or de notre enfance.
Toi vivante, je le devinais ;
Désormais, je le sais.


17 Juin 2022

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