jeudi 21 juillet 2022

Having Become the Soul of a Song

Ce n’était pas mon idée, ni la tienne
Loin de là, mais
Tu y es maintenant, et au cœur même.
Il faut être jeune pour comprendre de travers
Il faut être jeune pour ne rien comprendre
Mais si nous n’avions pas été jeunes
Nous ne nous serions même pas arrêtés.

Quand on se croise en station
Le tour est joué
Et pourtant, peu sont ceux qui le font éveillés :
Faut s’arrêter nulle part, au petit bonheur, en pleine nature
Avec, autour de soi, rien que la nature
Pleine d’oiseaux et cetera, sous le soleil ou pas.
Puis, il vaut mieux ne rien comprendre.

Ce n’était pas mon idée, ni la tienne
Loin de là, mais pétales
D’un rameau
, on s’est voletés autour, sans raison apparente.
La nature du transport, pas de nuages là-bas
C’était l’été ou l’hiver, je ne me rappelle plus –
Une fois qu’on était arrivés sur le trajet
Le tour était joué, ma belle morte.

21 Juillet 2022

mardi 19 juillet 2022

Des pieds et des mains

i.

J’ai hérité d’elle tout un stock de produits pour les pieds : pieds secs, fatigués, crevassés, autrement abîmés, froids. Je ne les ai guère utilisés de son vivant, sauf quand elle s’occupait des miens ; dans ces cas-là, rien à faire, j’y avais droit. 
Ses pieds étaient son trésor, pieds qui parcouraient inlassablement des distances énormes en ville, nécessairement en ville, Montreuil-Levallois aller-retour par exemple, et pas par le chemin le plus court. Je marchais moins, je chérissais moins mes pieds, je chérissais, moi aussi, les siens, très beaux du reste, à l’instar de ses mains. Ses pieds de marathonienne en ballerines, presque toujours en ballerines. Ses pieds de mine de rien.

Qui a des pieds comme ça
N’a pas de souci à se faire, ce sont
Des pieds pour partir tôt et revenir tard.

Moi, j’ai tant aimé te voir partir, trop heureux
D’attendre ton retour sûr et certain.
Voilà le secret d’une vie.

Uniquement
Quand ils ne t’ont plus
Permis de partir, tu n’es plus revenue.

Et ce n’est même pas vrai. En réalité, tu es
Partie si tôt, qu’avec de tels pieds
L’espoir est toujours permis.


ii.

Ses mains commençaient à avoir des taches de vieillesse, en rapport avec son teint mat. Je trouvais que ça lui donnait un air de femme rupine, très fortunée, malgré ses bijoux de fantaisie. Je ne lui ai pas dit, j’ai tacitement apprécié. En perdant ses mains de jeune femme, bénie à tout âge elle avait acquis des mains de millionnaire. Et ce millionnariat-là, je l’ai adoré.

Tu avais des mains pour des bagues
Des mains de luxe, d’oisive
Et pourtant, elles faisaient mille choses
Mille choses, et autant de caresses.
Elles cachaient bien leur jeu, ces mains.

C’est que les plus belles sont toujours celles
Qui cachent leur jeu.

S’il n’y avait pas de ces mains-là
Il n’y aurait pas de belles choses faites.
On aurait le luxe séparé de la beauté
La contemplation séparée de la création
Le travail pour soi-même séparé de celui pour les autres.

19 Juillet 2022

lundi 18 juillet 2022

Presque noires

1. Un dernier pas

Τάχα γάρ σε κατακτανέουσιν Ἀχαιοὶ πάντες ἐφορμηθέντες.
                                                                          Iliade, Chant VI, 410

La perte est incommensurable.
Je ne suis plus personne pour le monde.
Bien fait.
Le morts non plus ne sont plus personne pour le monde.
On est partis ensemble en quelque sorte
Je suis déjà auprès de toi –
Toi, sortie, et moi, nié du monde.
Mais je ne le pardonne pas aux vivants ;
Toi, vivante, tu savais me faire leur pardonner.

Par chance, je suis plus malheureux que dégoûté.
C’est en quoi tu me sauves encore.


2. Two Prayers of Commitment

 i.
 
No celebration without liberty.
You taught me liberty
You taught me celebration.
How shall I celebrate from now on?

Continue to free me from beyond the grave, since
Thou desirest and art able to do so.
Whatever future celebration will be thine
Dancing on my side.

Ever so slowly, I’m getting quite used to pray a
Goddess transfigured. 
 
 
ii.

Chaque circonstance où j’ai eu tort
Te blessant par un mot de travers
Maintenant, je la paye très cher :
Au-delà de ta mort, mon remords.

Viens dans mon rêve et rassure-moi
Fais-moi les caresses de ton corps
En pardonnant cet idiot qui dort
Dans sa sépulture, comme toi.

Je ne vais plus jamais te blesser
Je ne serai plus cet imbécile
Et ce sera diablement facile
Puisque tu as dû me délaisser.


18 Juillet 2022

mardi 12 juillet 2022

Fêtes

i.
 
Il m’est extrêmement difficile de faire la cuisine pour moi-même. Je ne fais plus rien de très compliqué, renonçant à la plupart des recettes dites gastronomiques dans lesquelles je m’étais lancé avant. C’est que je n’y vois plus l’intérêt pour moi tout seul. Un copain m’apporte les restes d’un plat élaboré ; normal, il encore sa famille à sustenter.
Qu’on ne me méprenne pas : je ne mange pas mal, je n’ai jamais mal mangé, je me nourris juste un peu moins bien que de son vivant. Elle m’inspirait, j’avais envie de nous faire de bonnes choses. À présent, je m’alimente comestible, point barre. Toutefois,
es schmeckt mir nicht so mehr richtig depuis son départ.
En conséquence, j’ai perdu pas mal de poids. Si je mourrai mince, ce sera donc à cause de toi, ma chérie. Je te rejoindrai mince et beau, et ça sera ta faute, et ça sera la fête, je me vengerai en nous concoctant un frichti d’enfer là-bas, agrémenté des meilleures racines ainsi que de rognures de notre viande faisandée, facilement détachées, puisque nos os au repos, ils seront mieux sans.


Und wäre es wieder wie früher
Und wäre es schön –
Wir würden es wieder gar nicht merken
Und blind weitergehn.

Traumwandlerische Sicherheit
Die Erwachen nur stört.
Glück weiß nicht von sich
Wenn es dir widerfährt.

So war schon das Diesseits, das
Wir unsterblich durchlebten
Beschaffen, dass wir darin
Wie jenseitig schwebten.

[Et si le passé revenait / Et aussi beau qu’avant / Avançant aveuglément / De nouveau, on ne s’en rendrait pas compte. // Ô, funambules somnambules / Ne vous réveillez pas ! / Pendant le temps qu’il est là / Le bonheur ne sait rien, rien de lui-même. // Ainsi, l’univers d’ici-bas / Que nous habitions immortels / Était déjà une sorte de ciel / Tant nous y flottions en suspens.]

ii.
 
Tiens, il me faut quelque chose de positif, quelque chose qui nous sépare. Disons alors : Il n’aurait pas fallu. Tu n’as pas eu le droit. Ton corps, ton joli corps, n’a pas eu le droit de nous faire ça.
Remémorer l’instant m’est trop douloureux, je ne veux même plus savoir, j’étais là, ça doit suffire.
J’ai voulu être présent à tout prix, physiquement inséparable. J’ai pu dire : Tu es encore auprès de moi. Puis, j’ai dû dire : Tu es partie, loin. Les secondes entre les deux sont les plus importantes que j’ai vécues.
Tu n’avais pas le droit, ton joli corps n’avait pas le droit. Je m’arroge le droit de te dire que tu n’as pas eu le droit, et j’attends, ma chérie, que tu me répondes. Sinon, ça sera ta fête ! Je m’attends à des explications circonstanciées, entends-tu ! Tu ne vas quand même pas rester silencieuse face à de telles accusations. Défends-toi, dis quelque chose ! Je suis tout ouïe.

Als du da drin lagst, warst du es nämlich noch.
Selbstverständlich warst du es noch.
Nur der Hauch war gegangen.

Wärst du nur Hauch und nicht auch Stoff gewesen
Wärst du gar nicht gewesen – ich liebte
Beide, man muss beide lieben.

Nun hat der Stoff Zeit
Selbst zum Hauch zu werden.
Er wird es noch nicht geworden sein

Wenn auch bei mir der Hauch geht.
Wir werden uns kaum unterscheiden –
Noch weniger als im Leben, noch viel weniger.


12. Juli 2022