Je vis dans une mégapole tout de même, et dès que je sors de ma tanière, il y a des choses à observer. Peut-être pas grand-chose, mais des choses.
Cette après-midi par exemple, en prenant le métro, mon attention fut attirée par deux personnes descendant l’escalier devant moi, couple assez spécial, constitué d’un garçon, vaguement indien, d’environ vingt ans, à la crinière bouclée, les longs bras dénudés ultra-minces ornés aux poignets de bracelets tressés genre Lembrança do Senhor do Bonfim da Bahia, pantalon large genre jupe, top en soie noire genre chemisier tombant, petit sac à main de nana, véritable apparition accompagnée d’un mec ordinaire. Si ordinaire que je pensais : dis donc, chez les ordinaires, ils ont parfois de ces apparitions dans la famille... De prime abord, je ne pouvais pas m’imaginer un lien autre que celui dû au hasard du sang.
Une fois dans la rame, je me débrouillais pour être assis en face d’eux, et je constatais que ce garçon, à la pomme d’Adam saillante et à la voix tout à fait masculine, tripotait ses beaux cheveux sans cesse, qu’il recelait au fond de son sac à main un minuscule flacon de parfum, cherché plusieurs fois pour se tamponner sous les lobes après avoir écarté d’un grand geste son abondante chevelure, et que, riant sans cesse de façon presque maladivement affectée, en dépit de ses lunettes qui lui conféraient un petit air intello, il était si bêtement maniéré qu’il ne pouvait que m’émouvoir, notamment parce que, nonobstant ses énormes efforts, cette créature n’était pas aussi jolie que ça en fin de compte – du prolo lourdement pomponné, somme toute, et hélas ils ne savent pas se pomponner en finesse, les pauvres. Puis, tourné vers lui et semblant l’admirer, à ses côtés ce type assez rustre, trapu et barbu genre islamiste, en apparence pas la moindre ambiguïté dans le regard franc. On lui aurait donné le bon Allah sans confession.
S’agissait-il en vérité d’un couple de tourtereaux ? Manifestement oui, car en se levant le garçon efféminé prit le type par le bras, et juste auparavant, celui-ci lui avait souri trop suavement pour un homme non amoureux. Le dernier doute était levé lorsque je me rendis tout à coup compte que l’élément viril portait, un peu ouverte sur le torse, une chemise avec plein de broderies fort colorées, genre cadeau fait au nounours par madame. Il m’a fallu arriver presque à la fin du spectacle pour le remarquer, tellement la dégaine flamboyante du garçon délié avait monopolisée mon attention bienveillante.
Quoi en déduire ? Que le genre est flou même chez les barbus, les velus et les hirsutes ? Non, mais que j’ai toujours un certain nombre de préjugés qui m’empêchent de percevoir tout de suite une chemise outrageusement brodée, pour peu qu’elle soit portée par quelqu’un qui, a priori, n’attire pas mon attention d’ethnologue partial. L’œil du poète a encore des efforts à faire.
Lorsque l’œil participe, il ne participe qu’à moité
L’autre moitié, ce n’est pas tellement l’œil
L’autre moitié, c’est la chemise.
Pourquoi faut-il toujours en porter une ?
Serait-elle plus forte que tout ?
S’imposerait-elle ?
Moi, qui apprécie plus que toute autre chose la retenue
J’ai dû apprendre que sans un peu de visibilité
L’énigme même reste cachée.
29 Avril 2025