mardi 31 octobre 2023

Son poids

Je dors parfois de son côté et tant qu’à faire
En l’y remplaçant, je me prends un peu pour elle :
Le matelas n’est guère usé, sur cette terre
Elle a toujours été légère, ma très-belle.

Quand c’était elle qui se balançait, son pin
Lui tendait, muet, le bras gracieusement plié
Craquant sous de plus lourds. Quand eux, ils l’ont scié
La v’là déjà au loin, envolée aux confins.

Lanceuse d’escarpin sur son escarpolette
Princesse à presque pas d’empreinte sur sa couche –
La couche est désertée, du pin reste la souche
Et de son court passage un souvenir de fête.

27 Octobre 2023





 

 

 

 


 Photo © Lutz Potrawa

lundi 30 octobre 2023

Fragmens emphatyques

Terrassé par la hernie, il me fallut attendre. Ni la station debout ni la couchée m’étant permises, j’étais réduit à l’assise. Qui dit assis, dit médiocre, et qui dit médiocre, dit grandiloquence. Je suis comme tout le monde : pour me désennuyer, je me précipite sur le graveleux. Le graveleux c’est l’emphase, la boucle est ainsi bouclée. Et si moi-même, rigoureux sinon austère en situation insatisfaisante, je le fabrique sans difficulté sous la forme d’épopées interminables, le lecteur cultivé ne saurait le supporter que fragmentaire. En voici de courts extraits.

1. Premier aveu


        « Rajuste-toi ! » lui criai-je après dans le silence.
L’écho m’a répondu du haut du ciel : « Et toi ? »
Le retour à la vie n’est que peine et souffrance.

                                       *

        Viens, bonace, un grand souffle a brassé chaud et froid !
Séduit, l’ange a nourri mon cœur de sa semence
Enfui, il m’a laissé son odeur sur le doigt

        Le jeu pervers, les règles l’innocence même
Faisant frémir son halitueuse peau d’albâtre :
Pour fondre forme et fond, raisons et corps, blasphème

        Et dévotion, il a suffi d’être idolâtre !
Las ! les aimants censés se repousser, s’entr’aiment
Et ceux qui s’aiment sont outillés pour se battre.

                                                               (Chérubin, âne et ange. Fin)


2. Deuxième aveu

J’ai eu la vie privée privée d’inanités ;
Loin de ces horizons, je me suis vu de près.
La langue se desséchant sans mondanités
Le monde tel qu’il est m’est resté un secret.

J’aurais dû mettre des couleurs : de loin, le noir
Et blanc ressemble un petit peu au désespoir.
Le dégradé des tons parfois gai, parfois triste
De près, le camaïeu fait bien plus réaliste.

                                         *

Or, il n’y a que le rose dans ce nuancier.
En teintes, j’ai seulement celles-là, j’avoue :
Du plus tendre des roses au plus prononcé
Qui, lui, accuse réception de mauvais coups.

Le rose frais des joues, le rose bleu des fesses
Rose de honte, écarlate des cent splendeurs
Les mauves roses qui éclosent aux rondeurs
Du corps, couleur bonbon jusque dans leurs détresses –

Tout s’est résolu à cette déclinaison.
J’aurais voulu lui opposer la plaine verte
Du ciel dont parle le génie de ma maison
Mais je n’ai jamais vu de prairie moins ouverte.

                                                               (Du divan)


26 Octobre 2023

dimanche 29 octobre 2023

Lumière et ombres

1. De mortuis

Fat cause de lumière lorsqu’il faut parler de nuit –
C’est bien la morte, et elle seule, qui constate l’éclairage
Mais à coup sûr pas le vivant, le fabobin, imbu de certitudes.

Qui a l’esprit de contradiction et le bec baveux
L’a bien facile, il n’a qu’à obéir au dogme
Il n’a qu’à suivre l’alphabet :

L donne la Lumière, puis M la Mort, N la Naissance.
O comme Obsèques. Celles-ci réglées, il n’a
Qu’à continuer en atmosphère :

P comme Paix, Q comme Quiétude, R pour Repos.
S évoquant Silence, et T, Tranquillité.
Si après, les choses se gâtent

L’imbécile s’arrangera toujours : U = Univers, V = Vérité.
X = Xéranthème (un genre d’immortelle).
Yoga, ma foi, puis Zen.

Les Waters où tout foutre, il les oublie exprès ; je les lui laisse.
Faudrait avoir un petit peu de retenue et de décence, cher
Quand le cœur du métier est le négoce de cadavres.


2. Appendicite

Depuis l’adolescence, je n’ai plus connu
De période aussi étendue de désir inassouvi
Je ne savais même plus ce que cela voulait dire.

Le désir n’était là que pour être assouvi, il était attendu
Comme une mère attend la faim de son enfant
Pour avoir le bonheur de le nourrir.

Le désir nous collait quasiment à la peau
Pas la peine de nous confesser quoi que ce soit, très
Profitable, ce désir gluant, on n’aurait pas su comment faire sans.

Désormais, il est juste là, en rappel de la solitude
Mais sans la juvénile foi de rencontrer
L’âme avec qui brûler d’envie.

Ce désir est devenu aussi superflu
Qu’un organe ayant cessé de jouer son rôle
De la sorte réduit au grotesque appendice d’un barbon.

La maturité d’un appendice est hélas irréversible
Et ceci en raison du plaisir éprouvé
Pendant presque une vie.


26 Octobre 2023

samedi 28 octobre 2023

Le coup

Parvenant à entrer – il faisait froid dehors –
Elle s’est crue sauvée, bourdonnant son content
Mais un seul coup faisant mouche a scellé son sort
Ce coup pernicieux, nul ne sait où il l’attend.

Sa joie de vivre, en fait, me fut un déplaisir :
Vaut mieux n’en laisser rien transpirer, joli cœur !
Pas assez mouche pour pouvoir croire au bonheur
Humainement, je sens toujours le coup férir.

D’abord fier de mon coup, parfaitement cerné
Face à la morte, ému, je me suis pris pour fou.
Son gai bourdon, en quoi m’avait-il concerné ?
Je me le demandais, dépité après coup.

– Si tu l’entends chanter, la chance, et ça t’agace
Rien de plus clair : ton irritation est le signe
Que d’une vie meilleure, insecte, tu es indigne.
Donne-la, cette claque à toi, grand bien te fasse !

– La claque m’abattrait, faut pas que je me touche.
Ce n’est pas le bonheur qui gêne en tant que tel
Il ne m’est pas proscrit, je suis comme la mouche
Et comme elle, il me perd dans ce cosmos cruel.


26 Octobre 2023

mardi 3 octobre 2023

Amies et ennemies

La guêpe tourne autour de la feuille
Elle cherche quelque chose. Moi, je sais.
Depuis que la grosse chenille verte est mon ennemie
La fine guêpe avec son train d’atterrissage sorti est mon amie.
Ça va vite avec les bestioles.

J’ai vu la guêpe découper la chenille, mon ennemie :
Elle l’a d’abord sucée pour la dégonfler, puis découpée
Pour pouvoir en emporter les bouts, portions suffisamment légères
Pour être transportables. Elle fait plusieurs voyages, c’est obligé
Et n’oublie jamais le dernier tronçon.

Les insectes sont comme les hommes :
Au besoin, ils sont capables d’être spectaculaires –
Gros mangeurs d’une placidité de nuisible
Ou maigrichons très organisés dans leur détermination brutale
C’est ainsi qu’ils dépendent les uns des autres.

Homme, on est un peu dans l’embarras –
On peut être guêpe ou chenille ;
Sur le moment, personne ne pense au papillon perdu.
Mais l’homme peut aussi être papillon
Pour peu qu’il arrive à ce stade.

Il n’y a pas de combats entre guêpes et papillons
Ils s’ignorent mutuellement, c’est beau à voir
Car le combat a lieu avant et tourne toujours à l’avantage de la guêpe.
Le seul suspense : trouvera-t-elle sa chenille, d’un vert de feuille ?
Le papillon, lui, est un survivant.

Il n’y a que les survivants qui peuvent se permettre de faire papillon.
La vie, elle, se passe entre guêpes et chenilles.
Le papillon, dans sa tour d’ivoire alors...
Il ne connaît pas la vie, lui
Elle est déjà derrière lui quand il naît.

Léger comme l’air
Il se met à pondre de petits œufs
Qui deviendront de grosses chenilles.
La guêpe
N’a qu’à lui foutre la paix.

2 Octobre 2023

lundi 2 octobre 2023

Presque

Le visage m’est toujours très proche
Et la partie la plus proche en demeure la bouche.
En image, sa bouche me touche presque.

Il manque si peu
Pour que nos lèvres se sentent
L’importance qu’elle a toujours eue, la bouche, lui est restée.

Or, tout est dans le presque
Il n’y aura plus rien d’autre que le presque.
Désormais, l’eau près de la bouche doit suffire pour me désaltérer.

Quand je dis presque, je dis la présence.
Sans présence, même pas ce presque.
La présence du presque est douloureuse et rassurante.

Nous arrivons donc presque à nous toucher
Et nous nous sommes donc toujours très proches
Seulement, ce n’est plus un jeu comme dans le temps

Lorsque, frétillant, l’un se tendait comme un arc
Tout en se refusant le droit d’être effleuré
Par la langue ou les lèvres salvatrices, toutes proches.

L’énervement du laisser durer : ça s’éternisait
Mais – le supportable ayant ses limites –
Sans que l’attente fût interminable.

Maintenant, elle l’est.
Quoique.
Interminable ne veut rien dire quand tout doit trouver sa fin.

Sans espoir de délivrance, je finis par me détourner
Et, à mon regret, j’abandonne l’image
Pour une autre fois.

29 Septembre  2023