jeudi 4 décembre 2025

Petit mouchage

תוכחה מזבובון

i.

“I am speaking now / the way you do. I speak / because I am shattered.”
                                                                                                               Louise Glück

Notre vie semble un peu plus longue
Que celle d’une fleur
Ou de nos petits camarades virevoltants
Mais est-elle plus riche sous le soleil ?
A-t-elle plus de sens ?

Nous sommes sans doute meilleurs
Quand il s’agit de justifier
Convaincus de les surclasser en mémoire...
Sauf que la mémoire n’est pas la vie
Elle en est presque la négation
Elle en est l’après-goût –
Et, en tout cas, celle de la nature
Dépasse la nôtre très facilement
De quelques millions d’années.


ii.

“All summer I heard them”
                        Stanley Kunitz

J’ai trouvé une mouche toute fine dans la baignoire.
Elle ne s’était pas noyée
Elle est morte de sa belle mort naturelle
Car l’hiver est déjà là
Et ce n’est pas la peine d’attendre le printemps
Lorsqu’une seule saison suffit au bonheur.

Ce serait trop dire que j’étais jaloux d’elle
Moi qui attends toujours le prochain printemps
Et même au printemps, celui à venir
Mais quand le tourbillon l’a emportée
Comme si elle ne valait rien
J’ai vu le tragique brusquement changer de bord :
Je suis si lourd ; elle, par contre, se déployant dans l’eau –
On aurait pu la prendre pour le pétale d’une fleur.


iii.

“my grandmother’s grave / like a loaf”
                                                Linda Pastan

Il faut se contenter de ce qu’on est.
C’est une tâche plus ardue pour un humain
Que pour une fleur ou un animalcule
Et pas seulement à cause de la lourdeur.

Quand la mort nous fauche
Trop longtemps nous resterons présents
Trop longtemps nous restons poids
Désormais poids mort
La légèreté étant aux autres
À ceux qui ne la soupçonnent même pas
Aux justes qui fourmillent ici-bas
Voletant ou fleurissant
Tandis que nous, avec nos airs supérieurs
Nous en comptons au mieux trente-six parmi les nôtres.


3 Décembre 2025

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