lundi 14 mars 2016

Arbres


1. Constatation indécente

Des arbres en face, deux longs rameaux se sont rencontrés ;
Maintenant, c’est comme s’ils se donnaient la main.
On ignore si c’est le vent qui en est responsable
Ou si c’est à l’initiative des rameaux
Mais ils se donnent la main en public.
Plus concrètement, ils enlacent leurs doigts très fins
Montrant ce faisant leur affection mutuelle.
C’est sûr, autrement on ne saurait rien sur eux.
On ne peut pas regarder dans le cœur de la nature
Pour savoir, il faut des signes.

On est encore en hiver et je trouve un peu gênant
De les voir ainsi, tout nus, en face
Ces rameaux qui se donnent la main.
L’avoir constaté et ne pas détourner l’ œil
Me semble plus indécent
Que la nudité même des arbres.

– Désolé, mon ami, mais ta vue est bien courte.
La plupart de nos semblables ne voient pas d’inconvénient
À mettre des plantes jusque dans leurs alcôves ;
Si tes voisins d’en face te rendent la pareille, ne t’en offusque pas
Et ne fais pas non plus ta chochotte.
Il faut le regarder sous cet angle-là.


2. Tombeau pour deux arbres

Le voisin qui dispose déjà d’énormément de place
M’a averti qu’il agrandira encore sa maison.
Cet agrandissement m’ôtera la vue sur deux beaux arbres, les
_______________________________derniers de ce côté-ci.
J’aurai à la place un mur blanc
Sur lequel mon imagination pourra s’exercer.
On n’est pas poète pour rien, n’est-ce pas.
Serait-ce un cadeau qu’il me fait ?
On verra plus tard.
Actuellement, je regarde tout le temps ces deux arbres
Qui sont encore nus, mais peut-être ne verrais-je plus leur
_________________________________prochaine floraison.
En tout cas, ça sera la dernière.

J’essaie donc d’en profiter au maximum, comme
Si je pouvais engranger pour l’au-delà, tout en sachant
Qu’on n’y amène rien, pas de trésor égyptien, ni de dernière vue
Et que, sous cet aspect-là, je serai comme mort, après.
Le voisin m’a condamné à une mort partielle :
Mort par rapport à ces deux arbres
Et à la place une surface de projection
Comme l’est le ciel pour ceux
Qui s’imaginent une vie éternelle.

Le paradis, juste un mur blanc devant des arbres (dont un
________________________________________pommier) ?
La perspective n’est pas moins effrayante.
Il faut l’entendre, la vérité schillérienne sur la vie du pieux et
___________________________________le méchant voisin.


1er - 12 Mars 2016


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