mardi 15 mars 2016

Émissions nocturnes

[Je m’endors.
Je me garde un peu un paysage et presque une logique derrière. Ils semblent aller ensemble, les deux, et c’est pour me protéger, on dirait. Or, dès que je me retourne, tout change. C’est inexorable, quel oubli : pas une miette ne peut être retenue. C’est comme dans un kaléidoscope : tu bouges un tout petit peu et tout est autre. Souvenir : zéro. Il faut que je me reconstitue un milieu à partir de rien. Et la logique, bien sûr, surgit, elle aussi, tout autre. Aussi peu descriptible, mais rien à voir. En fait, elle est juste l’esclave du milieu. Et tout ça uniquement parce que j’ai décidé de me tourner un peu dans mon lit.
Quand je pense que, debout, éveillé, dans la clarté du jour, c’est à peu près la même chose, je prends peur. Je me rends compte combien le milieu pèse peu. Je suis plongé dedans en entier, mais le monde est si fragile qu’il dépend de la position de ma tête s’il peut rester tel quel ou doit changer radicalement d’apparence et de logique. C’est qu’il constitue, plutôt que multiplicité de possibles, une suite aléatoire d’astreintes.]

1. Tangram du cœur
 
L’alcôve est un petit espace, l’un de ceux
Où peut se loger le grandiose et l’inouï
Voire l’énormité – ou ne se passe rien ;
C’est ça, le secret du petit, secret enfoui.

Mais qu’il s’y passe quelque chose ou rien du tout
Vu d’outre-alcôve, ça ne se voit point, ma foi.
Du grand, tu ne peux pas dire autant, car le grand
Ça marque, il en sort même le détail parfois.

                                    *

Celui-là, ayant entendu l’appel du large
En a chopé l’emblème, genre matelot
Petit Éros voguant par les rues, par la ruse ;
Or, plus discret butin reste souvent trop gros.

Il l’a traîné comme un insecte, ce poncif
Errant, en terre ferme, un antre, sa cachette
Tellement minuscule que, pour qu’elle y rentre
Il a fallu toucher au pompon sur la tête.

Poussant la crête à son béguin pour l’abaisser
A découvert la nuque rase, puis d’avance
Su qu’il devait s’en occuper d’un peu plus près...
Si la passion prévoit, l’émoi est une science.

La tête, en amour, n’a jamais trop d’importance
Surtout une autre est secondaire ; qu’on écime.
La ferveur dépassant ce plafond bien trop bas
L’y garder en entier aurait été un crime.

(Parlant de la découpe : Et combien de morceaux ?
Ce culte n’a qu’un but, indépendant du nombre ;
Alors, on ne va pas chipoter là-dessus
Disons donc : à détailler sans donner encombre.)

Retour au quotidien. Rangé dans son tiroir
Chaque élément marin, l’esprit d’ordre l’impose :
Voilà qui rend la vie au large sous les combles
Bien plus intime encore et cependant grandiose.
 
 
 
 2. Émission nocturne
 
Cette nuit, j’ai assisté à une émission
Dont j’avais entendu parler, j’ai voulu voir
Mais n’y ai pas tenu plus de quelques instants –
L’homme est ainsi, il veut savoir et pas savoir.

C’était un rendez-vous criard, grouillant de fats
Avec un art de raconter abominable ;
Je n’avais aucune envie d’y participer
Et me suis donc sans bruit dissipé de la table.

Je n’ai pas attendu l’entrée de la pitance
Je n’ai même pas dit au revoir à l’hôtesse
Et si, discrètement, j’ai traversé la porte
C’était par gêne plutôt que par politesse.

La belle blague ! Ayant regagné mes esprits
J’ai compris comme en rêve l’étendue du leurre :
En fait, j’avais été leur invité fantôme
Pour être là, il avait fallu que je meure.

Puisqu’ils ont besoin de fantômes pour leurs fêtes
Le corps devient astral trop près de ces vedettes ;
C’est seulement ainsi qu’on franchit un écran –
Vivants, nous sommes trop épais, trop lourds, trop bêtes.

5 Mars 2016 et 13 Mars 2016

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