mardi 12 février 2019

De l’ordre des choses


1. Affût perché

Quand je me suis trouvé mon lieu d’observation
Dans les arbres
Mais des arbres citadins
Ce n’était pas de là
Que j’aurais pu observer les saisons
Donnant de persistantes images de feuilles usées
Qui prennent des teintes de feu pour se détacher en flammèches
Aux premiers coups de vent perdus
Ou de celles qui se reforment sur les branches effeuillées,
_________________________________tendre vert enroulé
Pour insister, candidement, sur un nouvel élan
Automne avant printemps, dans cet ordre
Suivant la logique du calendrier hébraïque ou scolaire* :

Ce qui danse ici en automne, ce n’est pas feuillage
Et ce qui insiste au printemps, ce n’est pas feuillage non plus
Tout ici est faune, est gibier, est chair
Chair enflammée qui pourtant tombe, ou chair qui se fait.
Ici, la saison se passe une fois pour toutes
Ici, on ne vit qu’un seul printemps et un seul automne
Et dans cet ordre.
Ici, la nature s’exprime dans les gens
Parfois dans des arbres mais
Qui doivent faire sans.
Ici, point d’éternel retour
Pour soulager les pauvres âmes.

* Cette remarque concernant le début de l’année, d’un genre qu’on peut sans peine trouver soi-même, je l’ai en fait piquée à Linda Pastan, dont les excellents poèmes sont seulement un petit peu gâchés par la circonstance que leur créatrice évolue de toute évidence dans des sphères fortunées. (Another Autumn, in: The Last Uncle)


2. Nu sentimental

Les personnes de ma connaissance qui ont eu des affaires spécialement avec des soldats, ne s’y étaient pas engagées parce qu’elles aimaient les uniformes ou en pinçaient pour des vainqueurs et prenaient ces combattants à peine adultes pour tels, mais plutôt parce que leur sort les touchait au cœur. Elles les fréquentaient parce qu’ils avaient l’air si misérables : dressés aux traumatismes, ils leur semblaient des vaincus même si une guerre n’avait pas encore eu lieu. Elles couchaient avec eux aussi et surtout parce que les gars devaient avoir besoin de consolation. Le sex-appeal des petits militaires s’apparente à celui des chiens battus, et que le plus souvent ils n’en ont nullement conscience, rend leur charme d’autant plus ravageur.

C’est un nu et un nu sentimental, les nus
Ne le sont pas facilement, sentimentaux
Et s’ils parlent aux sentiments, ils sont déjà
Plus nus que nus, aux qualités pour philosophes.

Normalement, c’est le regard qui t’apostrophe
Non pas la peau, et moins encore peau qui n’a
Ni bouche ni regard car étendue, de dos
Là où la vie n’est que surface ou étendue.

Armurés par-dessus, camouflés en héros
Nus en peaux de soldats, faits de vulgaire étoffe.

[Diejenigen Personen aus meinem Bekanntenkreis, die sich speziell mit Soldaten eingelassen haben, taten es nicht deshalb, weil ihnen etwa die Uniform so gefiel oder sie etwas für Sieger übrig hatten und diese jungen Männer dafür hielten, sondern viel eher deshalb, weil sie ihr Schicksal innerlich anrührte. Sie ließen sich mit ihnen ein, weil sie so unglücklich, so auf Traumata gedrillt, so nach schon Besiegten aussahen, selbst wenn überhaupt noch kein Krieg stattgefunden hatte, und schliefen mit diesen kaum erwachsenen Kriegern vor allem auch deshalb, weil die den Trost nötig zu haben schienen. Der Sexappeal der unteren Ränge ähnelt dem von geprügelten Hunden, und dass denen das meist nicht bewusst ist, macht sie nur noch betörender.]


7  Février 2019

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