Depuis quelque temps, au coin de notre rue un authentique cul-de-jatte a pris ses quartiers.
A une époque où les culs-de-jatte ont disparu de nos contrées, lui s’est amené comme une piqûre de rappel.
Exposant ce qui lui reste, tous voiles retirés.
Or, l’intention est trop évidente pour que les passants se laissent attendrir.
Le cœur, c’est ancestral, s’en émeut peut-être encore un peu, mais le porte-monnaie, plus moderne, reste fermé.
Je me suis habitué à ce voyage au Moyen Âge, et le trottoir est si étroit qu’il m’arrive d’enjamber, pardon, les moignons sans regarder. Mais j’ai quand même vu, et je me dis que je ne suis pas le seul égaré dans le mauvais siècle. Il a beau être venu d’ailleurs, ici nous avons bâti un Etat-providence aux multiples garanties pour les plus pauvres, notamment ceux de son espèce. N’avons-nous pas toutes sortes d’allocs, ouvertes à des ressortissants comme lui, la cotorep et tout le toutim, et ne payons-nous pas des impôts locaux plutôt lourds afin que notre ville puisse s’enorgueillir d’être à la pointe en matière d’intégration des comme lui ? Il a droit à la CMU, certainement aussi à des prothèses sécu, et je suis sûr qu’il le sait, appartenant de toute évidence à une communauté habituellement fort éclairée sur ses droits.
Faisant la manche de cette sorte, il se permet de nier tout le progrès social, il rend même possible que les gens se disent : si c’est comme ça, on peut aussi retourner en arrière. En est-il seulement conscient ?
On n’en est pas encore là, et lorsqu’un rare passant lui donne la pièce, ce ne peut être que pour le spectacle. Ce n’est plus la miséricorde, de la miséricorde, l’Etat nous a délivrés, c’est pour le spectacle. Moi, cela me rebute de dire comme ça : bravo l’artiste ! Il lui reste ses deux bras, il pourrait jouer du violon, de jolis airs tziganes, dans ce cas je donnerais. Sans un peu de musique, pas d’émotion, pas de rétribution dans un pays civilisé.
7 Mars 2013
vendredi 8 mars 2013
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