lundi 18 juin 2018

How to Grow into Daddy’s Britches

Derrière, ça joue au ballon. Je ne le vois pas, je l’entends. Entendre un ballon frapper le mur à intervalles, sans être exactement un plaisir, reste du moins lié à la belle saison. Accompagné de cris d’enfants, c’est supportable – infiniment plus que les conversations professionnelles des parents qui m’arrivent sans gêne, ponctuées de leurs gros rires contraints, à travers mes fenêtres ouvertes. Mais, déjà, les voix des jeunes joueurs commencent à changer.

Learning is the word.
To learn means to imitate.
You may feel weird at the beginning
But one day gawkiness will have fallen away from you
As it fell from your forefathers
When they came down from the baobabs
Deep-sixing old knowledge
And so intent to turn human.
They didn’t know whom to imitate
But it surely worked out, there was not one
Fellow knuckle-dragger to be found out there in the savanna
Who would have told them they now looked like dopes –
No longer decent apes, actual idiots.

They are a big example.
Get off your fine tree like they did
By taking the unprecedented as a model;
This way you’ll grow into your daddy’s britches.
The savanna remains as empty as ever
No one will realize.
Let yourself fall off the baobab – not a felid, its overripe fruit
Learning how to fall
By trying to ape decomposition.


[Le mot c’est apprendre.
Apprendre c’est imiter.
Tu te sentiras peut-être bizarre au début
Or, un jour la gaucherie t’aura quitté
Comme elle a quitté tes ancêtres
Quand ils sont descendus des baobabs
Rejetant leur vieux savoir
Et tellement décidés à devenir humains.
Ils ne savaient pas qui imiter
Mais ça a marché, bien sûr, il ne s’y trouvait pas
Un seul co-pithèque, là-bas, dans la savane
Pour leur dire qu’ils avaient désormais l’air d’imbéciles –
Non plus de bons grands singes, de véritables idiots.

Qu’ils te servent d’exemple.
Quitte ton bel arbre comme eux ils l’ont fait
En prenant le jamais-vu comme modèle ;
C’est ainsi que tu rentreras dans le costume de papa.
La savane est toujours aussi vide
Nul ne s’en apercevra.
Laisse-toi tomber du baobab – pas en félin, en son fruit blet
Qui apprend à tomber
En essayant de singer la décomposition.]


17 Juin 2018

dimanche 17 juin 2018

Deux vignettes


1. Vespérale

Quand le soir tombe
Et les lumières sont allumées
Mais ce n’est pas encore la nuit noire
Une douceur certaine gagne le quartier.
Je serais presque tenté de me réconcilier
Avec les voisins désagréables
Tellement le temps compte.
Par chance, c’est une heure calme
Où personne n’est dehors, donc pas besoin
De faire suivre d’actes mes caprices.
L’heure passe, la nuit arrive, et
Le lendemain, ces gens sont de nouveau
Comme ils étaient.

Si la douceur a fait vaciller
Le jour cru, lui, rassure.
 


2. Maritime

Un cri de mouette me transporte sur la côte.
Descendue, celle-là, le long de la Seine
Suivant le modèle des envahisseurs Normands
Puis poussée jusque chez nous, à l’écart du fleuve ?
Cette nuit, je rêve d’inondation.
Moi sur un bateau, et Paris sous les eaux
Qui montent vite, bientôt la seule butte dépasse.
Juste à temps, je défais les amarres sans les larguer tout à fait
Pour que le bateau se mette à monter avec.

Ça reste angoissant quand même
Un cri de mouette.


15 Juin 2018

vendredi 15 juin 2018

Quartier d’artistes

         Goles, suite

Le gars d’à côté a repeinturluré sa façade –
En multicolore, ma foi.
L’autre voisin me demande :
Comment tu le trouves ?
Moi : Moche.
Lui : Eh ben, moi, tu vois, je trouve ça joli.
Plus c’est coloré, plus j’apprécie.
Voilà les critères, me dis-je
D’un gosse de cinq ans
Mais je la ferme.
Oui, je vis maintenant
Dans un quartier d’artistes.

Plusieurs fois par an
La ville organise notre vie culturelle :
Pendant tout un week-end, nos artistes ouvrent leurs portes au
___________________________________________public.
On se rend compte de leur nombre
Et qu’ils exercent dans leurs appartements.
Il est difficile pour un artiste d’entretenir deux endroits
Et c’est la raison pourquoi il y en a toujours eu
Qui ont vécu dans leurs ateliers.
Or, nos artistes à nous
Exercent dans leurs appartements, eux.

Ici, elle semble de tout repos
La vie d’artiste.

Normalement, ou ce n’est pas une vie
Ou ce n’est pas un artiste
Mais on aura du mal
À en trouver la confirmation
Face à tant de suffisance et ce ravissement
D’exhiber, à domicile, ses petites urgences.
Ne vous étonnez pas, c’est la loi des besoins :
Les uns font gros, et les autres petit.

C’est qu’en vérité, ils ont tous de vrais métiers, quoi.
Pas du métier, de vrais métiers.

Ils ne gagnent donc pas leur pain
De façon aléatoire
Ah, ça non ;
D’évidence, ils jouissent de situations stables –
Tout respire la joie de créer.
Il doit y avoir des fonctionnaires parmi eux.
Leur intérieur aux normes les trahit.

On finit par constater
Que l’atmosphère serait plus respirable sans eux
Et c’est la seule chose à dire à leur sujet
Qui montre encore un peu
Que ça dérange, les artistes.

14 Juin 2018

lundi 11 juin 2018

But Has the Breath of Life


i.

On a laissé faire la nature
Et la nature a mal fait.
Ce n’est pas que la nature fasse toujours bien
Lorsqu’on la laisse faire.
Avoir confiance en elle
Est un pis-aller parmi d’autres.

Celui qui se fie à la nature
Est comme le sot à la recherche de sa clé sous un lampadaire
Alors qu’il l’a perdu ailleurs : plus loin, là
Où il n’y a pas de lumière.
La lumière naturelle illumine à sa guise et
Peut garder l’essentiel dans le noir.


ii.

C’est l’époque des fenêtres ouvertes
Et à l’aube j’ai entendu un bruit étrange
Bruit d’oiseau mais étrange
Ni chant, ni croassement
Puis j’ai entendu la voix familière à côté de moi :
Qu’est-ce que ça peut bien être ?

Je me suis donc levé pour aller voir
Et je n’ai vu que le chat noir
Qui, intrigué comme nous autres, observait.
Je suis visible comme lui, me suis-je dit, pas comme l’oiseau
_________________________________________invisible ;
En présence d’un bruit étrange, le chat et moi faisons quasiment
______________________________________________un.
Est-ce que cette fraternité matinale m’a rassuré ?

J’aurais mieux aimé voir l’oiseau.
Seulement, on ne choisit pas
Ce que l’on voit et ce que l’on entend.

Puis, à nouveau, la voix familière, derrière moi :
T’as vu ce que c’est ?
– Non. J’ai vu le chat noir.

 10 Juin 2018

dimanche 10 juin 2018

Zip Line

En traversant l’aire de jeux du Parc Floral, je me rends brusquement compte que la tyrolienne, sorte de téléphérique rudimentaire, existait déjà il y a une trentaine d’années, et que parmi les adultes qui surveillent les petits faisant la queue pour descendre la fausse pente, il doit y en avoir quelques-uns qui, enfants, y ont patienté eux-mêmes. Les passant en revue, je fais mon choix, imaginant leurs bobines de l’époque. Lorsque la progéniture leur ressemble, c’est très facile.
Place de la Nation, il y a un manège qui tourne, lui aussi, depuis plusieurs décennies. Au moins deux générations ont pu faire leurs tours, excités ou béats dans ses voitures et sur ses motos au design inchangé. Ces endroits-là attirent le jeune âge comme les trous noirs la matière, et ils sont, au même titre, presque la preuve que la mort n’existe pas.

One, all his life through, feared black holes
Suspicious they were tempting whores
But when at last they met his course
He found that holes are bores.

Sure, they’ll attract and tuck you in
But you will never know, for then
The game dragged by its very spin
Will start a new begin.

A tongue not anymore your own
A call devoid of pitch or tone
Whether it’s you or not: alone –
Pastime to joy, and mourn.

June 8, 2018

dimanche 3 juin 2018

Le lustre a un problème

Le lustre a un problème.
Depuis longtemps.
Je ne peux plus compter les fois où j’ai dû monter sur le tabouret pour revisser l’une des ampoules en me brûlant les doigts. Et le lustre n’est pas seul.
Plein de choses ici ont un problème ou deux. La maison est comme piégée, mais je connais les gestes à accomplir. Grâce à ces gestes, mille fois répétés, mon petit univers fonctionne. Ou presque.
Et dire que la plupart des gens maintenant ne savent même plus ce que c’est que la fidélité. Fidélité à sa jeunesse, aux convictions de sa jeunesse, aux décisions qu’on a prises, aux achats qu’on a effectués, à celle, celui ou ceux qu’on s’est choisis dans sa jeunesse, aux promesses jamais faites mais tenues. Cette fidélité signifie qu’on accepte de vieillir, faisant face aux innombrables faiblesses liées au temps qui a passé.
Sont infidèles aux idéaux de leur jeunesse tous ceux qui ne supportent pas de vieillir, tous ceux qui veulent rester indéfiniment jeunes. Ces éternels adolescents ne sont que des parjures, ils ne valent pas mieux que les pignoufs qui balancent leur électroménager aux premiers signes de fatigue. Honte à vous, vous allez mourir seuls et sans amour !

3 Juin 2018

Lustre à problème, vu d’en bas

samedi 2 juin 2018

Le prix d’un éclair

L’autre jour, dans la nuit, un orage :
Coup de tonnerre et éclair en même temps.
Un truc a sauté, plus d’électricité.
Seulement, en face, pendant quelques instants encore
Le clignotement façon jouet de l’alarme
D’une des voitures garées, éveillée, elle seule, par le vacarme.
Ce moment de clarté brusque, on l’a payé ensuite
D’une nuit profonde et calme : il a bien fallu attendre
Le matin pour avoir de nouveau quelque lumière.

Le matin en question, tout ça m’a fait penser à George Oppen
Dont j’ai ressorti les New Collected de mes rayons
Pour, peut-être, saisir le sens des événements passés.
En fait, une fois de plus, je n’ai pas appris grand-chose
Car le plus important, je le savais déjà.
C’est que l’épiphanie d’une milliseconde
S’équilibre par des heures de nuit noire.

2 Juin 2018