jeudi 24 août 2023

Predator Fad

Parmi les grandes peurs d’une époque où tout doit s’acheter au prix juste et où toute acquisition non conforme à cette règle est considérée abusive, le voilà, le tout nouveau concept d’une prédation étendue à la conquête des corps.
Ce concept ayant fait le tour du monde civilisé, il n’y a plus, comme avant, la partie séduisante et la partie séduite dans l’acte de séduction, avec leur rapports de force complexes et leurs si charmantes ambivalences, mais pour peu que la société désapprouve, et elle le fait très souvent, uniquement prédateur et victime. La prédation séductrice étant par nature consensuelle, la prise de conscience de la dénommée victime exige parfois des années de lavage de cerveau avant de se reconnaître en tant que telle, mais qu’importe ! On érige alors la notion de minorité en loi intransgressible, minorité qui, du reste, n’a plus de limite dans le temps. L’éternel Don Juan devient l’éternel Prédateur, l’ancien bourreau des cœurs se modernise en prédateur de crédules, le coureur de jupons ou de dot, le satyre, le grand loup, le périlleux bellâtre à la langue sucrée – rien que des prédateurs, la frayeur millénaire métamorphosant toute personne tant soit peu dissipée, ou conséquente, en prédatrice de supposés monogames. Avec l’interdiction de persuader à force d’éloquence, en ne transigeant plus sur la soi-disant concordance des deux corps – même âge, même classe sociale, même IMC, même désir d’exclusivité etc. – la prédation est devenue l’aîné de nos soucis. Ou l’aînée, je ne sais pas, question de genre. Au lieu d’accompagner le développement physico-psychique de nos chères têtes blondes, chaperons rouges, oies blanches d’élevage et autres becs-jaunes vergondés de façon éclairée, ce qui les préserverait facilement de se faire avoir comme des bleus, on déniche partout des prédateurs chatoyants aux mille ruses, l’ordinateur non surveillé devenant l’outil par excellence des forces obscures qui, tapies dans la capiteuse pénombre d’une chambre intime, ne peuvent être que majeures, face à l’éternelle minorité d’âme du péquenot à chair plus ou moins fraîche. Grâce à Dieu, il arrive encore, paraît-il, que quelque fragile créature de rêve, ayant marre de se morfondre pour rien, tombe clandestinement sur le prédateur de son cœur et qu’elle se love en toute innocence dans ses bras trop velus sans que la presse s’en aperçoive.


        La voix de la proie :

Par malheur un peu réservé de caractère
J’ai la chance de ne pouvoir être que proie –
Proie à ceci, proie à cela, proie à tout faire...
Par bonheur, des fois on s’est acharné sur moi.

Être proie est pratique en ce monde cruel :
Il suffit de céder, on n’a rien d’autre à faire ;
C’est toujours le vilain qui traque, en sensuel
Son chenapan qui fait semblant d’être impubère.

On n’a jamais demandé si j’étais d’accord
Avant de bien vouloir essayer de m’avoir.
Si on l’avait fait, je serais sûrement mort
Dans mon plumard esseulé avant de savoir.

J’ai vieilli, ma chair s’est bigrement faisandée
À tel point que je ne fais plus gibier de choix.
J’ai forcément cessé de trop me demander
Si je pouvais encore espérer être proie.

L’âge a aussi son avantage, il me rapproche
Au pas de charge des trucs dits sempiternels :
Pour ceux à tendance passive, aucun reproche
Ne tient dans les embruns devenus fraternels.

Celui qui ne veut plus croire aux forces célestes
Est par essence bien moins commode à séduire
Mais attends-toi à ce que, si tu le molestes
Ce bougre impie n’y trouve pas plus à redire.


        Le silence du prédateur :

Les agneaux bêlent, je n’ai pas grand-chose à dire ;
C’est en mystérieux que je daigne séduire.


22 Août 2023

[Ganymède (lune)]

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